Principes mathématiques de la philosophie naturelle, [d'Isaac Newton], traduits par feue Mme la marquise du Châtelet, chez Desaint & Saillant, chez Lambert, 1756 ; tome Premier, ‘Du mouvement des corps’ (Livre premier), p. 49-66, ‘De la recherche des forces centripètes’ (Seconde Section) + planche générale de figures située entre pages 82 et 83.
1756
Reconstitution possible d’une dérivation des (futures) « forces de Coriolis » dans les Principia de Newton, à partir de l’approche totalement géométrique de celui-ci, via notamment la loi des aires.
Reconstitution possible d’une dérivation des (futures) « forces de Coriolis » dans les Principia de Newton, à partir de l’approche totalement géométrique de celui-ci, via notamment la loi des aires.
Anders Persson, FRMetS (Fellow of the British Royal Meteorological Society), est aussi membre honoraire de la Société suédoise de météorologie. Chercheur émérite à l’université d’Uppsala, il a exercé ses fonctions notamment au Centre européen de prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT – ECMWF, Reading, GB), à l’Institut météorologique et hydrologique suédois (SMHI, Norrköping, SE) et au Meteorological Office (Exeter, GB)
L’édition de 1905 de la revue scientifique allemande Annalen der Physik est devenue célèbre pour les cinq articles révolutionnaires d’Albert Einstein, qui ouvriront la voie vers la « physique moderne ». Ce qui est moins connu est que cette même édition d’Annalen fut aussi le lieu d’un vif débat entre trois scientifiques d’Europe centrale[1] sur l’interprétation correcte de l’effet Coriolis. Les trois scientifiques n’arrivant pas à se mettre d’accord, le rédacteur en chef Max Planck leur demanda de poursuivre leur discussion ailleurs[2].
Aujourd’hui, nous sommes fiers de notre bonne connaissance de la mécanique quantique et de la théorie de la relativité – mais l’effet Coriolis continue de nous laisser perplexes ! Ainsi n’est-il pas surprenant qu’Alexandre Moatti ait intitulé sa biographie de Gaspard-Gustave Coriolis (1794-1843) Le Mystère Coriolis[3].
Lors des années 1830, au moment où la Révolution industrielle battait son plein, Coriolis commença à s’intéresser à la dynamique des machines à pièces tournantes. Dans quelle mesure la force centrifuge, et donc la tension s’exerçant sur la machine, change-t-elle lorsqu’une pièce de la machine est aussi en mouvement par rapport à la rotation ?
Dans son mémoire de 1835, Coriolis montra que dans une machine qui tourne à une vitesse angulaire Ω où une pièce est en mouvement par rapport à la rotation à la vitesse Vr, une force supplémentaire 2ΩVr doit s’ajouter à la force centrifuge ordinaire Ω²R ou U²/R (où R est la distance vis-à-vis de l’axe de rotation et U la vitesse de rotation). Cette force supplémentaire, qui sera connue bien ultérieurement sous le nom de « force de Coriolis », est indépendante de R et perpendiculaire au mouvement relatif Vr. Dans une rotation anti-horaire, elle est dirigée vers la droite (et vers la gauche dans une rotation horaire). Puisque le mouvement est dévié à angle droit, elle ne peut que changer de direction ; sa vitesse (l’énergie cinétique) ne change pas. Coriolis nomme cette force complémentaire la force centrifuge composée.
Dans cet article, on postulera que les difficultés rencontrées depuis 180 ans pour comprendre cette « force de Coriolis » découlent non seulement de démarches erronées – qui ont tendance à l’isoler d’un point de vue conceptuel, sans prendre en compte la force centrifuge –, mais aussi de tentatives de la visualiser au sein d’un référentiel relatif. Et c’est là que certaines idées des Principia d’Isaac Newton peuvent venir à la rescousse.
Dans la dérivation vectorielle standard (accélération relative dans un système de rotation Ω, d’un mouvement relatif Vr à une distance R), les deux forces sont liées de manière organique :
(1)
Même si la structure mathématique du terme de Coriolis 2Ω× Vr semble être différente de celle du terme centrifuge Ω×(Ω×R), physiquement les deux forces ont la même nature centrifuge[4].
Une autre source de confusion est notre tendance à visualiser incorrectement les forces fictives – non seulement la force de Coriolis, mais également la force centrifuge. En effet, cette dernière est couramment représentée par le biais d’une image contenant les paramètres pertinents : la vitesse de rotation U, la distance vis-à-vis du centre de rotation R et la rotation Ω (antihoraire ici). Cette image pourrait ressembler à celle figurant ci-dessous, où la force centrifuge se dirige vers l’extérieur le long d’une ligne passant par le centre de rotation (figure 1).
Figure 1 : Une image courante de la relation entre un objet suivant un mouvement curviligne (U) et la force centrifuge (Ce) à une distance R du centre de rotation Ω. L’image est barrée car elle induit en erreur et n’est pas tout à fait exacte.
Mais ce faisant nous mélangeons deux référentiels différents. La trajectoire du mouvement est représentée dans un référentiel absolu, comme vue de l’extérieur. Or, la force centrifuge ne peut se ressentir que de l’« intérieur » et ne peut se représenter que dans un référentiel relatif.
Et pourtant, l’image s’accorde avec le « bon sens » car, lorsque nous faisons un tour de manège ou que nous sommes assis dans un bus qui prend un virage, nos yeux peuvent estimer visuellement la courbure. Les forces que nous ressentons sont « à l’intérieur » du manège ou du bus, mais nos yeux se dirigent vers l’« extérieur ».
2.2. Une représentation juste mais inintéressante de la force centrifuge
Mais imaginons que nous ayons les yeux bandés – ou que nous voyagions la nuit dans un train dernier cri qui avance sans heurts. Dans ce cas, il est quasiment impossible de connaître la direction du train (en arrière ou en avant ?). Lorsque le train prend un virage, on ne s’en aperçoit que parce que la force centrifuge nous pousse dans une certaine direction, et si l’on est assis correctement notre siège fournit une force centripète se dirigeant dans le sens inverse, ce qui nous maintient en place. Notre expérience sensorielle du trajet peut donc se résumer ainsi :
Figure 2 : Le même mouvement que celui indiqué dans la Figure 1, mais maintenant représenté seulement dans un référentiel relatif, suivant l’objet en mouvement, et non dans un référentiel absolu, où il est observé de l’extérieur de l’objet.
Cette image, quoique juste d’un point de vue physique, pourrait paraître assez fade ou inintéressante. Ainsi, elle ne fournit aucune information quant à la courbure du mouvement ou si celui-ci se fait en avant ou en arrière.
2.3 Une représentation erronée de la force de Coriolis
Si malgré cela on persiste à vouloir une image « saisissable » quoique toujours erronée de la déviation de Coriolis, elle pourrait ressembler à ceci (Figure 3):
Figure 3 : Une image de la force de Coriolis en tant qu’un des deux composants d’une force centrifuge décomposée. L’image est facile à comprendre mais trompeuse.
Avec un mouvement vers l’intérieur Vr, la trajectoire de son mouvement absolu ne suit plus exactement la rotation mais se tourne radialement en spirale vers l’intérieur, vers le centre de rotation. L’action centrifuge, qui est perpendiculaire à la trajectoire, ne se dirige plus le long d’une ligne qui passe par le centre de rotation.
On décompose le vecteur Ce en deux vecteurs. L’un passe directement par le centre de rotation ; il s’agit de la force centrifuge « ordinaire » Ω²R. L’autre, perpendiculaire, est la « force centrifuge composée » 2ΩVr de Coriolis. Puisque le mouvement relatif Vr se fait radialement vers l’intérieur, on voit également que cette force de Coriolis se dirige vers la droite du mouvement relatif pour la rotation antihoraire (comme celle de la Terre).
On se trouve donc face à une contradiction : d’un côté, une image « compréhensible » mais incorrecte ; de l’autre côté, une image juste mais qui ne semble pas correspondre à ce que nous dit le « bon sens ». Mais il existe une solution, qui consiste à abandonner les référentiels relatifs pour n’utiliser que des référentiels absolus.
Selon une convention internationale assez étrange, l’« accélération de Coriolis » ne correspond pas à la force de Coriolis par unité de masse, mais à une accélération liée à l’accélération centripète, due à une force réelle, braquée dans le sens inverse de la force de Coriolis – tout comme la force centripète se dirige dans le sens inverse de la force centrifuge !
Pour commencer par cette dernière, il s’agit de l’action d’une force centrale U²/R se dirigeant vers l’intérieur (Figure 4).
Figure 4 : Une force centripète constante de magnitude Ω²R fait tourner un objet en un mouvement circulaire. Au lieu d’une force centrifuge se dirigeant vers l’extérieur en raison du mouvement courbe, nous avons un mouvement courbe dû à une force centripète se dirigeant vers l’intérieur.
La trajectoire en spirale vers l’intérieur, due à une vitesse tangentielle U et une vitesse radiale V, peut désormais être considérée comme le résultat d’une force centripète se dirigeant vers l’intérieur, qui peut se décomposer en une force centripète ordinaire dirigée vers le centre de rotation et une force perpendiculaire, désormais orientée vers la gauche du mouvement radial relatif, l’accélération de Coriolis (figure 5).
Figure 5 : Afin que le corps se déplaçant de manière tangentielle se dirige radialement vers l’intérieur, une accélération centripète doit être appliquée, qui est la somme de l’accélération centripète ordinaire et l’accélération de Coriolis.
On peut aussi dire que l’accélération de Coriolis doit être appliquée sur un objet en mouvement afin d’éviter que celui-ci soit dévié par la force de Coriolis.
Il pourrait paraître étonnant de vouloir comprendre le mécanisme de déviation de Coriolis par l’étude de l’accélération de Coriolis vu d’un référentiel absolu, mais nous avons un puissant allié dans cette démarche : Sir Isaac Newton, auteur des Principia !
Mondialement connus, les Principia sont disponibles en traduction dans la plupart des langues. Et pourtant, peu d’entre nous ont lu cet ouvrage voire même l’ont ouvert. C’est dommage, car même en feuilletant les pages on se rend compte de quelque chose d’étonnant : il n’y a pas d’équations algébriques, il n’y a que de la géométrie euclidienne. Newton pensait qu’en utilisant la géométrie euclidienne ses résultats seraient plus simples à comprendre, du moins en son temps (figure 6).
Figure 6 : Une planche tirée de l’édition française des Principia indiquant toutes les figures dans la Partie I. La « Fig.13 », au milieu, est celle qui nous intéressera ici.
Donnons un exemple de l’approche euclidienne de Newton, lié au problème du calcul de la force centripète. Cet exemple illustre également la beauté mathématique de son raisonnement.
Figure 6bis : Une page des Principia, indiquant la construction géométrique utilisée par Isaac Newton pour démontrer la deuxième loi de Kepler, qui correspond à la conservation du moment angulaire.