Sur le bruit du tonnerre

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Coriolis
Sur le bruit du tonnerre
Auteur : Gaspard-Gustave de Coriolis (1792-1843)
Auteur de l'analyse : Alexandre Moatti - Ingénieur en chef des mines, directeur de la publication de science.gouv.fr
Publication :

Nouveau bulletin des sciences (bulletin de la Société philomathique de Paris), séance du 20 juillet 1833.

Année de publication :

1833

Nombre de Pages :
2
Résumé :

Ce texte de vulgarisation scientifique explique la cause du bruit du tonnerre : pourquoi, alors que l’éclair est instantané, le tonnerre qui le suit n’est pas une détonation instantanée, et dure un certain temps ?

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
mai 2009

Même s’il n’est pas fondamental dans l’histoire des sciences, ce texte nous a paru intéressant du point de vue de la vulgarisation scientifique au XIXème siècle. - C’est un écrit de vulgarisation qui explique la cause du bruit du tonnerre : pourquoi, alors que l’éclair est instantané, le tonnerre qui le suit n’est pas une détonation instantanée, et dure un certain temps ? - Il paraît dans le bulletin de la Société philomathique de Paris, société savante ayant pour objectif la diffusion des connaissances.

 


 

Alexandre Moatti est ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur en chef des mines. Il est directeur de la publication de www.science.gouv.fr, auteur d’ouvrages scientifiques et d’un blog www.maths-et-physique.net

 

 

 

Sur le bruit du tonnerre
Alexandre Moatti - Ingénieur en chef des mines, directeur de la publication de science.gouv.fr

Choix du texte

Ce très bref texte nous a paru intéressant à trois égards :

 

 

- C’est un écrit de vulgarisation qui explique la cause du bruit du tonnerre : pourquoi, alors que l’éclair est instantané, le tonnerre qui le suit n’est pas une détonation instantanée, et dure un certain temps ?

 

 

- Il émane d’un savant – Coriolis – qui, par ailleurs, produit des résultats mathématiques et physiques importants (la force centrifuge composée, dite « force de Coriolis », la définition physique de la notion de travail, la théorie du jeu de billard,…), mais exprimés dans un langage non immédiatement accessible, à la différence de ce texte.

 

 

- Il paraît dans le bulletin de la Société philomathique de Paris, société savante ayant pour objectif la diffusion des connaissances – le texte figure au compte-rendu de la réunion du samedi 20 juillet 1833 de la Société.

Aussi, même si ce texte n’est pas fondamental dans l’histoire des sciences, la réunion de ces trois ingrédients nous a paru intéressante du point de vue de la vulgarisation scientifique au XIXème siècle.

 

 

Figure 1 : Portrait de Coriolis (1792-1843) par Roller. Ce savant, ingénieur des Ponts et chaussées, membre de l’Académie des sciences, est aussi peu connu que sa principale découverte, la force centrifuge composée (dite « force de Coriolis ») l’est. De caractère effacé et de santé fragile, il consacra sa carrière à l’enseignement et à la science, principalement à l’École polytechnique de 1817 à sa mort.

 

 

La Société Philomathique de Paris
Elle est créée juste avant la Révolution, le 10 décembre 1788. Dès le départ, elle accueille les plus grands savants de son temps, et elle est souvent considérée comme l’antichambre de l’Académie des sciences (1). Son organisation reproduit celle de l’Académie, avec des « sections » par discipline : ainsi la première section, à laquelle appartient Coriolis, est intitulée « Mathématiques, Astronomie et Géodésie ». On y trouve en 1833 (date de l’article), outre Coriolis, des savants comme Binet, Liouville, Arago, Ampère, Poisson ; en deuxième section, celle de « Physique générale et appliquée », on trouve Prony, Biot, Gay-Lussac, Hachette, Dulong, Navier,…

 

 

Figure 2 : Liste des vingt-cinq premiers membres au 1er germinal an XI (mars 1803). On reconnaît, en position 1 & 2, les noms des fondateurs au 10 décembre 1788, Augustin-François Silvestre et Alexandre Brongniart.

 

La Société Philomathique (2) jouera un rôle particulièrement important entre août 1793 et novembre 1795. En effet, la Convention supprime l’ensemble des académies en 1793, et elles ne retrouveront droit de cité que deux ans plus tard, sous le nom d’ « Institut ». Le rôle de Jean-Paul Marat, homme politique et scientifique, est important dans cette suppression des académies (voir encadré hors texte). Pendant cette période, la Société philomathique de Paris se substitue à l’Académie des sciences, réunissant les mêmes membres, et poursuivant la présentation de travaux scientifiques.

 

 

Son Bulletin paraît dès 1791 sous diverses appellations : Bulletin de la Société philomathique à ses correspondants (de 1791 à 1797), Bulletin des sciences (de 1797 à 1807, et de 1814 à 1824), Nouveau Bulletin des sciences (de 1807 à 1814, et de 1825 à 1835). Une des particularités du Bulletin était de donner à connaître ce qui se disait en séance de l’Académie des sciences car, jusqu’en 1835, il n’existe pas de compte-rendu de ses travaux. La création en 1835 des Comptes-rendus de l’Académie des sciences par le secrétaire perpétuel Arago se traduira par la fin de la publication du Bulletin des Sciences. Toutefois, la tradition de portée à connaissance d’un grand public éclairé en temps réel du contenu des séances de l’Académie perdurera, par exemple dans le Journal des Débats, dans lequel Léon Foucault, « journaliste scientifique » parmi les premiers, tient une chronique où il vulgarise les travaux de l’Académie.

 

 

Marat et la suppression des académies en 1793

 

Le Marat révolutionnaire est bien connu, l’homme de science l’est beaucoup moins, pour différentes raisons. Même si la suppression des académies est votée en août 1793, un mois après l’assassinat de Marat le 13 juillet 1793, il est indiscutable qu’il aura joué un rôle essentiel dans la conception et la préparation de cette décision. Car Marat, avant la Révolution, était un médecin et - d’une certaine manière - un savant ; il avait eu de vifs conflits avec l’Académie des sciences, et en particulier son animateur Lavoisier. Déjà très virulent, homme de conflits, il pensait avoir fait d’importantes découvertes dans la théorie de l’électricité, et remettait en cause la théorie optique de Newton. L’académicien (actuel) Jean-Pierre Poirier a analysé ainsi les travaux de Marat (3) : « Sa façon de remettre en cause sans cesse les travaux les plus admis traduit plus un trait de caractère qu’une démarche scientifique. Prendre le contre-pied des théories modernes et, comme tous les savants qui n’ont pas réussi, se présenter en victime des mandarins. » En 1791, Marat publie un petit ouvrage épistolaire Les Charlatans modernes. Dans une vulgate finalement assez connue à travers les âges, jusqu’à nos jours, il oppose les « savants isolés », les seuls valables, aux académiciens, « engraissés par le gouvernement, encensés par les trompettes de la renommée ». Il s’adresse au lecteur dans le curieux style épistolaire de l’essai (lettre III) : « Tu es étonné de cette légion de savants que le gouvernement entretient à grands frais, et du peu de progrès que les sciences font parmi nous. » Pour lui, les académies sont « les enfants de l’orgueil de nos ministres et de nos rois ». Ce qu’il écrit sur Lavoisier et Condorcet (tous deux morts pendant la Terreur en 1794, le premier guillotiné, et le second retrouvé mort dans sa cellule) ne peut manquer de faire frémir rétrospectivement.

 

 

Figure 2 : Portrait de Marat (1743-1793) par Claessens (image libre, collection Library of Congress)

 

 

L’éclair et le Tonnerre, un « Son et lumière »
De tous temps le phénomène de l’éclair a fasciné les hommes. Et parmi eux les savants : l’étude de ce phénomène a été à la source peut-être pas de découvertes, mais d’intuitions scientifiques. Plusieurs observations peuvent être faites pendant un orage, notamment :

 

 

- Le chemin lumineux de l’éclair, qu’on voit se dessiner dans le ciel.

 

- Le décalage temporel entre la vision de l’éclair et l’audition du tonnerre.
- La durée du bruit du tonnerre, par opposition à la brièveté de l’éclair (phénomène expliqué par Coriolis dans le texte BibNum).

 

Concernant le premier point, Galilée, dans son Discours concernant deux sciences nouvelles (1638), a l’intuition d’une propagation non instantanée de la lumière, lorsqu’il observe l’éclair (4) :

 

Nous distinguons le début […] en un lieu déterminé entre les nuages, avant qu’il ne se propage immédiatement après dans les parties environnantes. Son mouvement occupe un certain temps, car, si l’illumination était instantanée et non progressive, je ne crois pas que l’on pourrait distinguer son origine […] des points extrêmes de son expansion.
 
 

Figure 3 : Éclair internuageux (à g.) ; éclair nuage-sol (à dr.).

 

Concernant le second point, on connaît le décalage entre la vitesse de propagation du son et celle de la lumière, un million de fois plus grande. Ainsi, on entend le début du tonnerre quelques secondes après avoir vu l’éclair : c’est d’ailleurs un moyen empirique de connaître la distance à laquelle se situe un orage, de savoir s’il s’éloigne ou se rapproche, en comptant le nombre de secondes entre l’éclair et le tonnerre : ainsi, pour 9 secondes ainsi comptées, l’orage est à environ 3 kilomètres (9s x 340 m/s = environ 3 kms).

 

Concernant le troisième point, c’est l’objet du texte de Coriolis.

 

 

Le bruit du Tonnerre
Coriolis ne prétend pas être le premier à donner l’explication du bruit du tonnerre ; il indique que:

 

Cette explication a déjà été proposée, à ce qu’il paraît, par diverses personnes ; elle est indiquée dans la physique de Robinson ; et M. Gay-Lussac en parle dans ses cours.
On peut aussi citer Monge, qui établit une théorie du tonnerre en 1794. D’un autre côté, Coriolis ne manque pas de dater son observation : le Bulletin précise que l’explication « lui est venue à l’idée en 1815 » (soit dix-huit ans auparavant), et qu’il en « a entretenu, dans le temps, plusieurs personnes ». Manière subtile et élégante de marquer une antériorité sur une idée.

 

 

Le mur du son
Suit un essai d’explication sur la cause même du bruit :

 

La force avec laquelle l’air est instantanément déplacé par l’électricité, celle avec laquelle il vient remplir ensuite le vide laissé par le fluide, suffisent pour provoquer une forte détonation.
Cette explication avait déjà été donnée par Monge quelques années auparavant. Nous ne nous attarderons pas sur les termes très datés (le « fluide électrique »), mais nous noterons que cette explication « tient la route » : quand l’air est déplacé à une vitesse supérieure à celle du son, il y a création d’une onde de choc et d’une détonation. C’est le « franchissement du mur du son », analogue au bang de l’avion supersonique ou au claquement du fouet.

 

 

 

La durée du tonnerre
Mais c’est sans doute sur ce point, qui constitue sa dernière et plus grande partie, que ce texte est le plus intéressant. Comme Galilée l’avait fait via Salviati à propos du chemin visuel de l’éclair, Coriolis s’interroge sur le chemin sonore du tonnerre. Il va se demander pourquoi le grondement du tonnerre se prolonge dans le temps – alors que l’éclair, qui en est la cause, est lui quasi-instantané.

 

Nous devons donc nous représenter l’éclair comme une série de points formant une ligne irrégulière et même anguleuse dont tous les points produisent au même instant des détonations de différentes intensités. Si tous ces points étaient à des distances de l’oreille qui ne différassent pas beaucoup relativement à la vitesse du son, l’éclair ne produirait, pour l’observateur, qu’une seule détonation ; mais comme les différences des distances de tous les points de ce trajet à l’observateur sont au contraire très grandes par rapport à la vitesse du son, elles se changent en différences de temps, c’est à dire que les détonations produites en même temps en des points différents arrivent à l’oreille successivement, et décomposent ainsi le phénomène pour l’observateur.
De manière tout à fait pédagogique, Coriolis relie ainsi la forme anguleuse de l’éclair au décalage des distances entre l’observateur et les points de friction propageant l’éclair.
D’abord, remarquons que toute partie du trajet de l’éclair qui restera sensiblement perpendiculaire au rayon vecteur partant de l’observateur produira une forte détonation car, tous les points de cette portion de ligne étant à la même distance de l’observateur, les ébranlements qui viendront de tous les points de ce trajet apporteront leur bruit en même temps à l’oreille, et comme les ondes sonores se superposeront, elles deviendront plus grandes et produiront sur l’oreille l’effet d’une large détonation, comme un coup de canon. Au contraire, une partie du trajet de l’éclair qui se dirigera dans le sens du rayon vecteur partant de l’observateur produira une espèce de déchirement sur l’oreille, parce que les ébranlements des divers points du trajet n’arriveront que successivement à l’oreille.
Ainsi, quand l’éclair tombe verticalement (ou plus précisément de manière perpendiculaire à la ligne reliant l’observateur au trajet de l’éclair), le bruit est fort et quasi-instantané. Quand il se propage de manière oblique dans le ciel, soit que l’éclair s’éloigne soit qu’il se rapproche de l’observateur, la détonation durera plus longtemps.

 

 

Conclusion
Même s’il ne constitue pas un résultat scientifique en soi, ce texte nous renseigne sur une forme de diffusion de la connaissance scientifique en France au XIXème siècle. De fait, cette communication de Coriolis sera jugée suffisamment innovante pour être reprise l’année suivante dans l’ouvrage Archives des Découvertes et inventions nouvelles faites dans les Sciences les Arts et les Manufactures tant en France que dans les Pays étrangers pendant l’année 1833 : c’est aussi par ce type d’ouvrages que se faisait la diffusion de la culture scientifique à l’époque.

 

 

 

 

 


(1) Coriolis lui-même entre à la Société philomathique en 1830, et entrera à l’Académie des sciences en 1836.
(2) L’étymologie elle-même est intéressante : « philo » (amour, amateur), « matheme » (science, cf. « mathématiques »). Le philomathe (ou philomate, on retrouve les deux orthographes à travers les âges) est l’amateur de science.
(3) Source Marat, homme de science, dir. J. Bernard, J.F. Lemaire, J.P. Poirier, éditions Les Empêcheurs de penser en rond, 1993.
(4) Cité par Jean Eisenstaedt, Avant Einstein. Relativité, lumière, gravitation, Seuil Science Ouverte 2005.
À CONSULTER (SITES)

 

 

La théorie du tonnerre de Monge (Annales de Chimie), relatée dans Éléments d’électricité et de galvanisme, Georges Singer, 1817 (bibliothèque numérique CNUM)

 

 

De la Foudre, de ses formes et de ses effets, par le Dr F. Sestier, Paris, 1866, pages 99-104 (bibliothèque numérique Google Books)

 

 

 

 

À CONSULTER (LIVRES)

 

 

André Thomas (dir.), La Société philomathique de Paris et deux siècles d’histoire de la Science en France, Presses universitaires de France (1990)