La religion, la morale et la science : leur conflit dans l’éducation contemporaine

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Ferdinand Buisson
La religion, la morale et la science : leur conflit dans l’éducation contemporaine
Auteur : Ferdinand Buisson (1841-1932)
Auteur de l'analyse : Liliane Maury - Chargée de recherches honoraire au CNRS
Publication :

La Religion, la morale et la science : leur conflit dans l’éducation contemporaine - Quatre conférences faites à l’aula de l’université de Genève, (Avril 1900), Librairie Fischbacher, Paris, 1900 ; extraits : première conférence (intégrale), p. 3-49 ; troisième conférence (intégrale), p. 99-139.

Année de publication :

1900

Nombre de Pages :
88
Résumé :

La « foi laïque » de Buisson – un des pères fondateurs de l’enseignement sous la IIIe République, futur prix Nobel de la paix en 1927 – est une religion (au sens du latin religare , relier) qui lie les hommes entre eux et est ainsi composée : « Morale, art et science, voilà la substance même de la religion de l’avenir ».

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
juin 2012

Liliane Maury poursuit son analyse pour BibNum de textes fondateurs des figures tutélaires de la IIIe République. Après Jules Ferry (1832-1893) et sa Lettre aux Instituteurs (1883) portant sur la nécessité d’une « morale laïque » à l’école, complément de l’école obligatoire, c’est au tour de Ferdinand Buisson (1841-1932, futur prix Nobel de la Paix en 1927) et sa « foi laïque ». Ce qui peut de nos jours paraître comme un oxymore revêt un sens profond, cette religion (au sens du lat. religare, relier) lie les hommes entre eux et est ainsi composée : « Morale, art et science, voilà la substance même de la religion de l’avenir » (Buisson). Le philosophe Vincent Peillon a fait revivre la pensée de Buisson dans un livre de 2010, et voit dans la foi laïque de Buisson « une religion pour la République ».

 


 

Liliane Maury est docteur en psychologie (HDR 1990). Elle a fait sa carrière au Centre d'étude des processus cognitifs et du langage (équipe associée au CNRS et à l'École pratique des Hautes Études), puis dans la section des Sciences humaines et sociales du CNRS (section 35).

 

 

 

Liliane Maury continues her analysis for BibNum of the founding texts of the tutelary figures of the Third Republic. After Jules Ferry (1832–1893) and his letter to primary schoolteachers on the necessity of “secular morality” at school (as a complement to obligatory schooling), she turns to Ferdinand Buisson (1841–1932, winner of the Nobel Peace Prize in 1927) and his “secular faith”. Though seemingly oxymoronic today, this concept is laden with meaning: religion (from the Latin religare, to tie or bind) connects people together and is constituted in a similar way: “Morality, art and science: that is the very substance of the religion of the future” (Buisson). The philosopher Vincent Peillon revived Buisson’s thought in a book published in 2010, and sees Buisson’s secular faith as “a religion for the Republic”.


 

Liliane Maury holds a PhD in psychology and has been authorised to supervise research since 1990. She has spent her career at the Centre d’étude des processus cognitifs et du langage (affiliated to the CNRS and the École pratique des Hautes Études), and then at the Humanities and Social Sciences section at the CNRS (Section 35).

Ferdinand Buisson et La Foi laïque
Liliane Maury - Chargée de recherches honoraire au CNRS

 

 

Figure 1 : Ferdinand Buisson (1841-1932). Il est directeur de l’enseignement scolaire de 1879 à 1897 et participe à l’élaboration des lois Ferry. Dreyfusard, il est en 1898 l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme, qu’il préside de 1913 à 1926. Après la Première Guerre, il est un fervent promoteur de la création de la Société des Nations et du rapprochement franco-allemand : c’est notamment pour cette raison qu’il obtient le Prix Nobel de la paix en 1927, conjointement avec l’écrivain et homme politique allemand Ludwig Quidde (1858-1941).

Figure 1 : Ferdinand Buisson (1841-1932). Il est directeur de l’enseignement scolaire de 1879 à 1897 et participe à l’élaboration des lois Ferry. Dreyfusard, il est en 1898 l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme, qu’il préside de 1913 à 1926. Après la Première Guerre, il est un fervent promoteur de la création de la Société des Nations et du rapprochement franco-allemand : c’est notamment pour cette raison qu’il obtient le Prix Nobel de la paix en 1927, conjointement avec l’écrivain et homme politique allemand Ludwig Quidde (1858-1941).
Le texte de Ferdinand Buisson analysé ici s’intitule : La religion, la morale et la science, leur conflit dans l’éducation contemporaine. Il est composé d’extraits de quatre conférences, faites au mois d’avril 1900 à l’Aula de l’Université de Genève et publiées la même année sous forme de livre (Paris, Librairie Fischbacher) : le premier paragraphe de la première conférence, qui est un exposé général de la question traitée — c’est-à-dire des causes et de l’histoire de ce conflit —, et la seconde partie de la troisième conférence.
Dans la deuxième conférence, Ferdinand Buisson examine les diverses solutions susceptibles de résoudre le conflit entre religion, morale et science. Elle s’achève par une critique de la philosophie de Kant, alors introduite depuis peu en France, et pour laquelle Buisson a manifestement un grand respect. Ce qui ne l’empêche pas d’achever la conférence en ces termes :
[…] Le kantisme nous apparaît comme une sorte de stoïcisme néo-chrétien qui ne donne d’autre raison de sa raideur sublime que sa raideur elle-même. Avec ses formes scolastiques qui expriment l’héroïsme dans ce qu’il a d’abrupt, il nous fait penser à ces premiers chefs-d’œuvre de l’art primitif, égyptien ou dorien, qui déjà figurent la personne humaine, mais encore figée dans la pose immobile de son moule hiératique, qui déjà expriment la vie, mais encore enfermée et comprimée sous sa lourde robe de pierre d’où seul le génie classique saura un jour la faire jaillir, libre, souple et mouvante. Qui sera le Phidias et le Praxitèle auquel il sera donné d’animer l’immortelle, mais rigide statue qu’est l’homme moral de Kant ?
La quatrième et dernière conférence est une application de la solution préconisée par Buisson lui-même dans la troisième partie. Il s’agit en fait d’une sorte d’hommage à Félix Pécaut (1828-1898), qui avait été le directeur de la nouvelle École normale d’institutrices de Fontenay-aux-roses, fondée en 1880. C’est là qu’ont été formées les premières directrices des écoles normales de jeunes filles et, par conséquent, elle est le lieu de naissance de toutes les futures institutrices de France. Pécaut a laissé, et les lettres des jeunes filles en témoignent, un souvenir inoubliable. En particulier, toutes se souviennent avec émotion des causeries morales qu’il leur offrait chaque matin.
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Le principal ouvrage de Buisson a pour titre La Foi laïque. Il paraît en 1912 et, selon l’auteur lui-même, c’est un « dossier ». Il s’agit en effet d’un recueil de textes de toutes sortes (discours, conférences, articles ou extraits de cours) datant de différentes époques et s’adressant à des publics également divers.
Si nous avons repris à notre compte ce titre, c’est qu’il correspond exactement à l’œuvre de Buisson. Une œuvre où le religieux et le profane se heurtent, s’opposent et se réconcilient. De cette contradiction mouvante et vivante est née une laïcité particulière, spécifiquement française, et dont nous avons hérité.
De fait, la contradiction qui traverse la laïcité n’est pas une simple affaire de mots. Elle entraîne à sa suite une sorte de brouillage des frontières entre diverses instances : entre la vérité religieuse et celle, expérimentale et rationnelle, de la science, entre la théorie et la pratique et, ce qui nous concerne de plus près, entre l’institution scolaire et ce qui lui est extérieur, c’est-à-dire la société.
Or, si tous ces éléments ont bien changé depuis l’époque de Ferdinand Buisson, les contradictions subsistent – tout en se déplaçant parfois – et continuent à travailler la notion de laïcité. Cette dernière est, comme le montre Pierre Macherey, une « idéologie de compromis (1) ».
Aussi retourner aux origines de « la foi laïque » permet peut-être de mieux saisir le sens de ces transformations.
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Buisson a reçu une formation de philosophie. Ainsi il importe de voir, dans un premier temps, en quoi « la foi laïque » reflète la philosophie de son époque, c’est-à-dire celle qui, à la charnière des XIXe et XXe siècles, est dominante en France. Ce moment est particulièrement significatif puisque c’est à cette époque que la philosophie rencontre et se heurte aux sciences de la nature. De ce heurt naîtra un nouveau champ d’investigation, plus ou moins hétéroclite et omniprésent de nos jours, celui des sciences humaines.
Dans un deuxième temps, nous considérerons le résultat concret de cette conception de la laïcité, à savoir le statut et le rôle de l’école primaire de la Troisième République.
Enfin il va de soi que cette école, où l’on enseigne en même temps que la morale laïque, les « droits de l’homme et du citoyen » issus de la Révolution, confère aussi à l’instituteur un rôle et un statut particuliers. Notre analyse rejoindra ici celle que nous avons proposée de la Lettre envoyée par Jules Ferry, le 17 novembre 1883, à tous les instituteurs de France (2).

 

 

Une philosophie morale et politique
Si l’on considère l’histoire de la philosophie en France, on s’aperçoit que tout un pan de cette histoire semble avoir sombré dans l’oubli : celui qui occupe la période allant de la Révolution à la fin du XIXe siècle, où émerge et s’impose le bergsonisme. À cette période appartiennent tout d’abord les Idéologues, dont le plus célèbre est Condorcet, auquel Jules Ferry rend hommage, dans son « Discours sur l’égalité d ‘éducation » (1870). Ensuite, s’impose une nouvelle philosophie, universitaire contrairement à la précédente, fondée par Victor Cousin (1792-1867) : l’école spiritualiste française. C’est à cette dernière qu’appartiennent tous ceux qui ont lié la philosophie à la morale et la politique et, bien entendu, Ferdinand Buisson.
Reportons-nous au problème posé dans notre texte par Buisson, à savoir la résolution du conflit entre « la religion, la morale et la science » :
Ainsi commence […] à nous apparaître pour la religion un rôle tout nouveau. S’il fallait opter entre elle et la science, entre elle et la morale, notre choix était fait. Nous n’avons pas le droit de subordonner le certain à l’incertain, l’évidence au clair obscur, la raison à la tradition, notre conscience à celle d’autrui. Plutôt que de condamner l’esprit humain à s’incliner, adulte, devant les idoles qu’il s’est taillées, enfant, nous irons sans hésiter à ce qu’on a fièrement nommé “ l’irréligion de l’avenir […] On sait avec quelle force de réflexion et avec quel éclat d’éloquence un penseur de génie, qui n’a fait que passer, laissant une trace à jamais lumineuse, J. M. Guyau, a fait de ces mots “irréligion de l’avenir” le titre et le résumé d’une des études les plus pénétrantes, les plus loyales, les plus profondes qu’ait vu paraître cette fin de siècle.
Jean-Marie Guyau (1854-1888), malgré une vie très courte, a écrit de nombreux ouvrages. Poète et philosophe, il a un style rapide, familier, hardi et tout à la fois lyrique, par conséquent aussi très démodé. Buisson lui doit beaucoup. Ainsi par exemple, dans l’article « Morale » du Nouveau Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1911), il reprend à son compte pour qualifier cette dernière, le titre d’un ouvrage de Guyau : Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (1885). Mais ici, Ferdinand Buisson modifie l’intitulé de Guyau et parle de la « religion de l’avenir ».
L’Irréligion de l’avenir paraît en 1886, et il est spécifié en sous-titre qu’il s’agit là d’une « Étude sociologique ». Or la sociologie n’est pas encore conçue à l’époque comme une science à part entière, indépendante de la philosophie : il faudra attendre Émile Durkheim (1858-1917) pour cela. En effet, Durkheim, après avoir succédé à Buisson dans la chaire de sciences de l’éducation de la Sorbonne, en 1902, la transforme en chaire de sociologie.
Mais le mot « sociologie » — ou « physique sociale » — a été forgé avant cela par Auguste Comte (1798-1857). Cette science est d’ailleurs le couronnement et l’aboutissement de l’échelle des sciences, que Comte a conçue et exposée dans la première leçon de son Cours de philosophie positive. Ajoutons qu’Auguste Comte exclut de cette échelle des sciences la psychologie. Dès lors la psychologie reste dans la philosophie et Victor Cousin en accentue même le rôle, puisqu’elle devient, chez lui, « le vestibule de la philosophie ».
Nous verrons que si Ferdinand Buisson est bien un héritier de Cousin, il a subi, comme toute son époque — et comme Jules Ferry — l’influence du positivisme d’Auguste Comte.

 

 

Figure 2 : Le Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire, de Ferdinand Buisson (4 vol. 1881-1887). Ce dictionnaire figure comme un des « lieux de mémoire » de l’histoire de France par Pierre Nora.

Figure 2 : Le Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire, de Ferdinand Buisson (4 vol. 1881-1887). Ce dictionnaire figure comme un des « lieux de mémoire » de l’histoire de France par Pierre Nora (3).
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En pédagogue averti, Buisson, avant même d’exposer ses idées, prévient son auditoire :
Et ici, que je vous demande pardon par avance, une fois pour toutes, si, dans ces aperçus, je me place toujours à un point de vue dont l’éducateur s’affranchit difficilement. Pour lui, le mot de Pascal est vrai à la lettre : l’humanité est un homme qui apprend toujours. Pour lui, l’enfance de l’individu reproduit à peu près toutes les phases de l’enfance de l’humanité, ce petit monde reflète le grand. De là, dans les études que je vous soumets, un constant rapprochement, un parallélisme qui vous fatiguera peut-être, entre la psychologie de l’enfant et la psychologie des sociétés à l’état d’enfance.
Cette image se trouve dans la préface au Traité du vide de Pascal, qui date de 1651. À cette époque et pour Pascal, elle s’inscrit dans la querelle entre les Anciens et les Modernes :
Toute la suite des hommes, pendant le cours de tous les siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement : d’où l’on voit avec combien d’injustice nous respectons l’Antiquité dans ces philosophes ; car, comme la vieillesse est l’âge le plus distant de l’enfance, qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de sa naissance, mais dans ceux qui en sont éloignés ? Ceux que nous appelons Anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l’enfance des hommes proprement ; et comme nous avons joint à leurs connaissances l’expérience des siècles qui les ont suivis, c’est en nous que l’on peut trouver l’Antiquité que nous révérons dans les autres.
Buisson s’empare de cette image et la projette dans un tout autre cadre, celui de la psychologie qui, en 1900, se constitue comme science indépendante de la philosophie.
Dans cette perspective, l’image prend un autre statut. Le développement de l’enfant récapitule, de façon accélérée et visible, les étapes de l’évolution de l’humanité. Cette hypothèse, dont il n’existe bien sûr pas de vérification possible, l’origine de l’humanité étant inaccessible, a suscité ­— et suscite encore ­— de nombreux débats. Elle fonde la psychologie de l’enfant.

 

 

Figure 3 : James Baldwin (1861-1934), philosophe et psychologue américain.

Figure 3 : James Baldwin (1861-1934), philosophe et psychologue américain.
Ainsi par exemple paraît en 1895 l’ouvrage d’un philosophe et psychologue américain, James Mark Baldwin (1834-1919), intitulé très explicitement : Le Développement mental chez l’enfant et dans la race. Ce livre marque la naissance de la psychologie expérimentale de l’enfant. Mais l’image de l’enfant que nous offre la psychanalyse et tout particulièrement Freud — même si elle s’oppose à celle qu’offre la psychologie —, est également tributaire de cette conception récapitulative. Dans Totem et Tabou (1912) par exemple, Freud s’appuie sur cette vision, pour mettre en parallèle le névrosé, l’enfant et le primitif.
En fait, ce qui domine et englobe tout cela et qui donne tout son sens à l’exposé de Ferdinand Buisson, c’est la perspective évolutionniste et progressiste dans laquelle il se situe. Et c’est pourquoi il affirme dès le début de son allocution :
Si l’esprit philosophique et l’esprit scientifique disputent à l’esprit religieux le gouvernement des âmes et par contre coup celui des sociétés, à nos yeux ce n’est pas un accident, ou, si vous voulez, c’est un accident nécessaire, un fait normal. Nous y voyons un phénomène de croissance. Il fallait qu’il se produisît ou que l’humanité cessât de grandir.
La vision progressive de l’esprit humain plonge ses racines dans le siècle précédent, celui des Lumières. Mais au XIXe siècle, ce progrès sera théorisé de façon plus précise. Ainsi, en simplifiant beaucoup les choses, on peut retenir deux points de vue et deux auteurs.
D’une part, on détecte dans le texte de Buisson l’influence d’Auguste Comte. Ce dernier a décrit l’évolution progressive de l’esprit humain, comme le passage par trois états : théologique d’abord, cherchant par conséquent les explications dans la religion, et s’en contentant, puis métaphysique et, enfin, positif ou scientifique.
D’autre part, mêlée à la précédente, une autre influence, celle du philosophe anglais Herbert Spencer (1820-1903), dont les écrits ont profondément marqué toute la seconde moitié du XIXe siècle, non seulement dans son pays, mais aussi en France. Cette influence est explicitement reconnue par les auteurs eux-mêmes, tels qu’Émile Durkheim, Théodule Ribot (1839-1916) — son premier traducteur et le maître d’œuvre de la psychologie expérimentale en France —, et bien entendu, Henri Bergson (1859-1941).
Ce que Ferdinand Buisson reprend à Spencer dans sa conférence, c’est l’idée que la connaissance scientifique est limitée. Elle laisse la place à un territoire infiniment grand et devant lequel elle s’incline :
Nous ne faisons pas l’expérience de ce qui dépasse l’expérience, mais nous entrevoyons que l’expérience elle-même suppose quelque chose qui la dépasse. « Dans l’affirmation que toute connaissance est relative, dit Herbert Spencer, est impliquée l’affirmation qu’il existe du non-relatif.
C’est dans cet espace que se produit le conflit. La religion le revendique, tout comme la morale et la science. Sous ces trois termes, on reconnaît le titre de l’ouvrage principal de Victor Cousin : Du vrai, du beau, du bien (1836). Buisson, dans sa conférence, propose la solution suivante :
Morale, art et science, voilà la substance même de la religion de l’avenir. Elle ne peut ni ne veut désormais se nourrir d’autre chose. Au lieu de perpétuer l’erreur enfantine qui lui faisait chercher les clartés surnaturelles pour être plus savante que la science, plus artistique que l’art et plus morale que la morale, la religion de l’avenir saura qu’elle ne vaut, à ces trois points de vue, que ce que la feront valoir l’art, la science et la morale, dont elle sera le nom collectif, à peu près comme le nom philosophie désigne l’ensemble des études psychiques.
Si, comme on l’a souligné plus haut, Ferdinand Buisson préfère le mot « religion » à « l’irréligion » de Guyau, c’est que pour lui — contrairement à Guyau — ces deux termes ne se valent pas. Le mot « religion », pour Buisson, on vient de le lire, permet de relier le bien (la morale), le beau (l’art) et le vrai (la science), tout en reconnaissant qu’il s’agit de domaines différents. Ainsi, « la religion de l’avenir », c’est-à-dire « la foi laïque », résout le conflit entre ces trois domaines qui se disputent l’éducation. C’est pourquoi aussi Vincent Peillon voit dans cette foi laïque de Buisson « une religion pour la République (4) ».
Dans cette acception, le mot religion retrouve son sens étymologique de lien, mais ce dernier n’est pas matériel, il est idéal, intellectuel et spirituel. Et l’on comprend que cette vision hybride et ambivalente soit aussi fragile que riche. L’expérience montre d’ailleurs que suivant les époques et les circonstances politiques, elle se transforme d’elle-même tout en gardant sa vivacité, due à la contradiction originelle.

 

Archéologie de la foi laïque

 

Dans son ouvrage consacré à Buisson, le philosophe Vincent Peillon mène dès l’abord une « archéologie de la laïcité » en soulignant que la laïcité n’a pas remplacé la religion du jour au lendemain – la notion de foi laïque a été très prégnante et pourrait l’être encore de nos jours. Il rappelle le projet rousseauiste de religion civile à la fin du Contrat Social (1762), le culte de l’Être Suprême par la Révolution, le Nouveau Christianisme de Saint-Simon (1825), qui ramenait « ce qu’il y a de divin dans la religion chrétienne » à la fraternité des hommes. La notion de progrès est attachée à la religion vue par Buisson : dans ses conférences de 1900, il indique que « l’histoire de la religion est l’histoire du progrès de la conscience humaine » et que « toute religion qui dure ne dure qu’à condition de se perfectionner moralement (5) ».

 

 

Figure 4 : Tympan de la cathédrale de Clermont-Ferrand. Une restauration a permis de dégager cette marque à la peinture, où l’on lit : « Le peuple français reconnaît l’Être suprême et l’immortalité de l’âme » (image WikiCommons auteur Romary)

Figure 4 : Tympan de la cathédrale de Clermont-Ferrand. Une restauration a permis de dégager cette marque à la peinture, où l’on lit : « Le peuple français reconnaît l’Être suprême et l’immortalité de l’âme » (image WikiCommons auteur Romary)

Peillon souligne que pour Buisson, en cohérence avec sa philosophie spiritualiste, l’humanité de la personne humaine ne peut se réduire à l’exercice de sa raison : la présence du divin en chacun de nous est le fonds même de sa nature et de sa dignité – et la politique républicaine a bien un fondement religieux (6). Et Peillon de rappeler que Buisson, dans son propre camp radical et franc-maçon, se heurtait à ceux qui conçoivent la laïcité ou la libre pensée comme « une orthodoxie à rebours » : Buisson craint par-dessus tout un catéchisme républicain, une orthodoxie laïque, « le catholique à rebours qui fait de l’athéisme un credo (7) ».

 

 

L’école de la République
Je ne suis qu’un homme d’école : l’école primaire a rempli vingt-cinq années de ma vie, et j’achève ma carrière comme je l’ai commencée — non loin d’ici — dans une chaire de pédagogie.
Ainsi, avant même de commencer sa première conférence, c’est-à-dire l’exposé général de la question qu’il va traiter, Ferdinand s’est présenté à son auditoire. Il n’est ni orateur, ni théologien et c’est en modeste « homme d’école » qu’il entend parler.
S’il est un penseur qui influença Ferdinand Buisson, et qui n’est pas philosophe mais littérateur et historien, c’est Edgar Quinet (1803-1875). Il le rencontre en Suisse, où l’un et l’autre, fuyant l’Empire et la politique de Napoléon III, se sont exilés. Tous deux ont d’ailleurs un lien religieux avec ce pays calviniste. Quinet appartient à cette religion par sa mère et au catholicisme par son père. Buisson quant à lui, a reçu une éducation protestante, celle de l’Église réformée. Et si dans son jeune âge, et notamment au cours de son séjour en Suisse, il discute avec fermeté les thèses de cette Église, il la quitte en 1866, pour enseigner la philosophie et la littérature à l’Université de Neuchâtel.

 

 

Figure 5 : Edgard Quinet (1803-1875), écrivain et historien français (croqué en 1873 par le caricaturiste André Gil, in Le Trombinoscope de Touchatout)

Figure 5 : Edgard Quinet (1803-1875), écrivain et historien français (croqué en 1873 par le caricaturiste André Gil, in Le Trombinoscope de Touchatout)
Mais, manifestement, il garde un lien très privilégié et profond avec cette religion. Car trente ans après avoir entrepris une étude sur Sébastien Castellion, — un théologien courageux et qui, au nom de la tolérance, s’était opposé à Calvin —, il en fait sa thèse de doctorat à la Sorbonne. Pour Buisson, et tout le texte analysé le confirme, la religion est un sentiment, un esprit, une pensée, et c’est pourquoi elle n’a pas besoin de rituels ni par conséquent d’église pour s’exprimer.
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Mais venons-en à la question de l’école et de la différence qui existe entre Buisson et son maître Quinet. L’ouvrage de Quinet auquel Buisson se réfère très souvent a pour titre : L’Enseignement du peuple. Il paraît en 1850 et l’un de ses chapitres s’intitule : « Quelle est la raison d’être de l’enseignement laïque ? ». C’est d’ailleurs à apporter une réponse à cette question que le livre est destiné.
Pour nous, une question subsidiaire se pose. Quelle différence y a-t-il entre « l’enseignement du peuple » et « l’école du peuple », qui est indéniablement celle que Buisson et Ferry ont mise en place en France ?
L’école est une institution, un lieu, à la fois fermé sur lui-même et séparé de l’extérieur — la famille et la société, c’est-à-dire le monde du travail —, mais aussi ouvert sur ce monde extérieur. L’école protège l’enfant du monde du travail, mais indéniablement, elle le prépare également à y entrer. Cette situation ambivalente de l’école, en France du moins, lui confère une grande importance et en fait un objet de débats récurrents et souvent violents.
Revenons à la conférence de 1900, Buisson, après avoir défini la religion comme « un besoin éternel de l’âme humaine, besoin qui essaie de se satisfaire à l’aide de conceptions chimériques destinées à crouler les unes sur les autres », poursuit :
Si nous plaçons à ce point de vue, nous allons trouver dans la religion, à quelque âge, d’ailleurs à quelque degré que nous la considérons, deux éléments constitutifs ; appelons-les, pour la commodité du langage, l’âme et le corps de la religion. Son corps, ce qui lui sert d’expression visible, ce qui se traduit en institutions, c’est un ensemble de faits, les uns intellectuels, les autres esthétiques, les autres encore éthiques et pratiques, qui constituent le dogme, les croyances, les mythes, les traditions sacrées, les livres saints, le sacerdoce. Il n’y a pas de religion là où il n’y a pas de culte établi, de doctrines persistantes, de traditions révérées, de mystères accomplis, de croyances transmises. Ce sont là les vêtements, les enveloppes charnelles qui font que la religion est autre chose qu’une vague et fugitive disposition d’esprit, qu’elle devient une force humaine, une puissance sociale, un agent de civilisation. Mais ces formes dans lesquelles s’incorpore la religion, suivons-les d’un siècle à l’autre, dans n’importe quelle société religieuse. Nous les voyons se transformer profondément, alors même que se fait le plus grand effort pour leur conserver l’apparence d’immutabilité. […] L’âme de la religion, c’est ce qu’il y a en elle d’éternel et d’indestructible, ce qui reparaît à tous les degrés de la culture, au fond de tous les hommes, identique et permanent sous la variété des dehors.
Cette séparation, quelque peu cartésienne, consiste à mettre sur deux plans différents, le dogme et les rituels, propres à chaque religion, visibles et changeants, et ce qui leur est commun à toutes, immuable et éternel, « le sentiment du divin ». Mais une fois cette séparation, quelque peu artificielle, admise, il importe aussi de les relier, de manière à éviter le conflit entre eux. C’est là le rôle de l’éducation et, par conséquent, de l’école.
Concrètement donc le dogme et les rituels ne sont pas enseignés ni pratiqués dans l’école, mais leur existence n’est pas niée pour autant. Voilà pourquoi dans l’école de la République on enseigne la morale laïque. Là-dessus, Buisson a une position analogue à celle de Jules Ferry. Ce dernier, dans la « Lettre à Monsieur l’instituteur », l’affirme avec fermeté : « Les enfants ont, en morale, un apprentissage à faire, absolument comme pour la lecture ou le calcul (8). »
Et le lieu où se fait l’apprentissage, c’est-à-dire celui où se transmettent la connaissance et la science, c’est l’école. Là, l’enfant apprend précisément, comme Buisson le recommande, la séparation entre cette dernière et ce qui n’en relève pas et, par conséquent, où peut surgir le conflit qu’il tente de résoudre.
De ce point de vue, une question délicate se pose : quelle différence y a-t-il en la « laïcité » et la « neutralité » de l’école ? La neutralité n’est manifestement pas suffisante puisque la morale ne s’engage pas simplement du côté de la vérité scientifique. Elle s’engage également du côté d’une vérité plus difficile à cerner, celle qui touche à la politique. Et de ce point de vue, le rôle de l’instituteur est particulièrement délicat, comme le montre la Lettre de Ferry (9).

 

 

L’instituteur et la République
C’est là le titre d’un long article que Ferdinand Buisson publie, en 1909, dans La grande Revue. Il s’agit d’abord de rappeler aux jeunes gens qui ne les ont pas connus, les combats initiaux de la politique scolaire de la IIIe République. Et il poursuit :
Seulement, il ne faut pas perdre de vue une conséquence de cette méthode. C’était d’attribuer une grande importance à la valeur personnelle, à l’influence personnelle de l’instituteur. Moins on avait de prescriptions écrites à lui donner, plus il aurait à tirer de son propre fonds. Tant vaudra l’homme, tant vaudra l’enseignement.
Dans la conférence de 1900, Buisson dégage trois « phénomènes » qui constituent la « foi laïque ». Le premier est émotionnel, c’est ce qui constitue ce « sens du divin », ou ce qui revient au même pour de Buisson, « le sentiment de l’infini ». Le deuxième relève de la raison et fixe la frontière entre la nature et le surnaturel. Et le troisième, plus difficile à cerner, est :
Un phénomène volitif et actif qui finira par constituer la morale religieuse et le culte, mais qui commence bien entendu par les misérables pratiques de la sorcellerie et de la magie primitive ; avec le temps, l’homme apprendra à agir sur son Dieu autrement que par des sortilèges, il s’élèvera à la notion d’un contrat avec ce Dieu, puis à celle de sacrement et enfin à la notion pure et évangélique de la prière.
Que signifie cette évocation inattendue de la prière ?
Bien entendu, il ne s’agit pas de celle que recommande l’Église catholique. Buisson a une conception très personnelle de la prière, qu’il expose clairement dans l’article du Dictionnaire de pédagogie. Dégagée « de la prière dogmatique et de la prière scolastique et de la prière mystique : il nous restera, pour nous et pour nos enfants, la prière humaine […] sans prêtre et sans autel, sans dogme et sans miracle, […] où la conscience s’affine, où la volonté s’affermit… »
La volonté est une notion de psychologie. Théodule Ribot par exemple, a publié, en 1882, un ouvrage sur Les Maladies de la volonté, et Ferdinand Buisson l’a certainement lu. En 1899, le dernier cours de pédagogie qu’il professe à la Sorbonne, porte sur « L’éducation de la volonté ». Et voici ce qu’on peut y lire :
La moralité sans effort est deux fois la vertu, précisément parce qu’elle nous élève jusqu’au point où nous ne sommes plus tentés de nous admirer pour avoir simplement fait notre devoir. Nous sommes plus près de la vérité dernière des choses et de la juste évaluation du vrai mérite et de la vraie dignité humaine quand, après avoir bien agi, nous disons en toute sincérité : « ce que je fais là est la chose du monde la plus naturelle » que quand nous disons malgré nous : « c’est bien beau, ce que je viens de faire. » La preuve, c’est que si je félicitais quelqu’un d’entre vous d’avoir reporté une pièce d’or qu’on lui avait, par mégarde, rendue en trop dans un magasin, il en serait plus que froissé : il ne me pardonnerait pas d’avoir douté de lui.
Cette vision lyrique de la morale est-elle efficace ? Certains en doutent, en particulier Durkheim. En 1902, nous l’avons dit, il succède à Ferdinand Buisson, dans la chaire de pédagogie de la Sorbonne et y professe un cours sur L’éducation morale. Ce cours a été publié sous forme de livre (Paris, PUF, 1963) (10). Le premier chapitre porte sur « La morale laïque », et on y lit notamment ceci :
Tout en admirant l’œuvre accomplie, il n’est pas interdit de penser qu’elle serait peut-être plus avancée et mieux consolidée, si l’on n’avait commencé par la croire trop facile et trop simple. On l’a conçue, en effet, comme une opération purement négative. Il a paru que, pour laïciser, pour rationaliser l’éducation, il suffisait d’en retirer tout ce qui était d’origine extra-laïque. Une simple soustraction devait avoir pour effet de dégager la morale rationnelle de tous les éléments adventices et parasitaires, qui la recouvraient et l’empêchaient d’être elle-même. […] Il faut aller chercher, au sein même des conceptions religieuses, les réalités morales qui y sont perdues et dissimulées : il faut les dégager, trouver en quoi elles consistent, déterminer leur nature propre, et l’exprimer en un langage rationnel. Il faut, en un mot, découvrir les substituts rationnels de ces notions religieuses qui, pendant si longtemps, ont servi de véhicule aux idées morales les plus essentielles.

 

 

Figure 6 : Émile Durkheim (1858-1917), l’un des fondateurs de la sociologie moderne.

Figure 6 : Émile Durkheim (1858-1917), l’un des fondateurs de la sociologie moderne.
Pour Durkheim, la moralité ne s’enseigne pas en tant que telle. Elle passe par la discipline de l’école, qui exige que l’on apprenne à obéir aux règles collectives, celles qui régissent aussi bien la vie scolaire que l’enseignement des diverses disciplines, notamment les sciences. Par là s’instaure « l’attachement aux groupes sociaux » et l’individu qu’est l’enfant, cède la place à un être complet puisque social.
La morale peut-elle être purement rationnelle, comme le préconise Durkheim ? On laissera la question ouverte. Une chose est certaine en tout cas, c’est que la morale laïque suscite, et de nos jours encore, des débats où la passion l’emporte bien souvent sur la raison.

 

Juin 2012

 

 

 

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(1) Pierre Macherey, « Philosophies laïques », in Mots, n°27, « Laïc, Laïque, Laïcité », juin 1991, Presses de la fondation des sciences politiques, 5-21 (en ligne).

(2) Liliane Maury, « Jules Ferry, lettre aux instituteurs », BibNum, mai 2011.

(3) Pierre Nora, « Le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, cathédrale de l’école primaire », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, t.1.

(4) Vincent Peillon, Une religion pour la République, La foi laïque de Ferdinand Buisson (Seuil, 2010)

(5) Buisson, cité par V. Peillon, op. cit., p. 242.

(6) V. Peillon, op. cit., p. 274-277.

(7) F. Buisson, La Foi laïque, extraits de discours et d’écrits (1878-1911), Paris, 1912, cité par V. Peillon, op. cit., p. 273.

(8) Liliane Maury, « Jules Ferry, lettre aux instituteurs », BibNum, mai 2011.

(9) Liliane Maury, op. cit.

(10) La leçon d’ouverture de ce cours ne figure pas dans ce livre. On peut la lire dans un autre ouvrage, intitulé : Éducation et sociologie, (Paris, PUF, coll. Quadrige, 1985, p.91). Elle a pour titre : « Pédagogie et sociologie ».On trouve également dans ce recueil, deux contributions de Durkheim pour le Nouveau Dictionnaire de pédagogie (1911), sur « L’éducation » et « La pédagogie ». Durkheim a également coécrit avec Buisson, l’article « Enfance » dans ce Dictionnaire.

 

LIVRES (SOURCES PRIMAIRES)

 

 

Ferdinand Buisson La Foi laïque, extraits de discours et d’écrits 1878-1944, présentation de Mireille Gueissaz, Paris, Le Bord de l’eau éditions, 2007.
Ferdinand Buisson La Foi laïque, extraits de discours et d’écrits 1878-1944, présentation de Mireille Gueissaz, Paris, Le Bord de l’eau éditions, 2007.

 

 

 

 

LIVRES (SOURCES SECONDAIRES) ET ARTICLES

 

 

Liliane Maury, « Jules Ferry, Lettre aux instituteurs », BibNum, mai 2011.Liliane Maury, « Jules Ferry, Lettre aux instituteurs », BibNum, mai 2011.

 

 

Pierre Hayat, La passion laïque de Ferdinand Buisson, Paris, Editions Kimé, 1999.
Pierre Hayat, La passion laïque de Ferdinand Buisson, Paris, Editions Kimé, 1999.

 

 

Vincent Peillon, Une religion pour la République, La foi laïque de Ferdinand Buisson, Paris, Seuil, 2010.
Vincent Peillon, Une religion pour la République, La foi laïque de Ferdinand Buisson, Paris, Seuil, 2010.

 

 

Pierre Nora, « Le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, cathédrale de l’école primaire », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, t.1 (rééd. 1997)
Pierre Nora, « Le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, cathédrale de l’école primaire », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, t.1 (rééd. 1997)