Auguste Comte et l’institution scientifique : modalités et ressorts de son opposition et de ses critiques

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Auguste Comte et l’institution scientifique : modalités et ressorts de son opposition et de ses critiques
Auteur : Auguste Comte (1798-1857), philosophe français
Auteur de l'analyse : par Alexandre Moatti Ingénieur en chef des Mines, Chercheur associé à l’Université Paris-Diderot (SPHERE UMR 7219)
Publication :

'Préface personnelle' au Cours de philosophie positive, tome VI, Bachelier, 1842, p. V à XXXVIII.

Année de publication :

1842

Nombre de Pages :
34
Résumé :

La préface personnelle du traité de 1842 : l’acmé de la critique portée par Comte à l’égard de l’institution scientifique (notamment l'École polytechnique et l'Académie des sciences).

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
mai 2017

Les idées d’Auguste Comte (1797-1857) ont été largement diffusées et étudiées. Il a créé une doctrine philosophique, la philosophie positive, et est l’un des fondateurs de la sociologie. Il a inspiré sous la IIIe République un courant politique encore vivace de nos jours ; et la philosophie positive éclairée de ses disciples, d’Émile Littré à Jules Ferry, a ouvert la voie d’une démocratisation de l’accès à l’éducation et au savoir à partir des années 1880. Si l’on pousse plus loin, on peut même considérer que notre pays est structuré par la pensée de Comte, au moins autant que par celle de Descartes.

Pourtant, c’est dans la science exacte, celle de ses études, celle des relations liées à ses activités professionnelles, que Comte cherchera compulsivement la reconnaissance. Pendant toute sa vie, il mène un combat personnel pour être reconnu par la communauté scientifique, notamment l’Académie des sciences et l’École polytechnique (dont il était ancien élève).

 


 

 

Alexandre Moatti est ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur en chef des Mines, chercheur associé à l’université Paris-Diderot (laboratoire sphere UMR 7219) (page personnelle)

 

 

Auguste Comte et l’institution scientifique : modalités et ressorts de son opposition et de ses critiques
par Alexandre Moatti Ingénieur en chef des Mines, Chercheur associé à l’Université Paris-Diderot (SPHERE UMR 7219)

 

 

Figure 1 : Monument à Auguste Comte, place de la Sorbonne, Paris Ve(sculpture de 1902 de J.-A. Anjalbert, 1845-1933) (WikiCommons auteur Jebulon).

 

Les idées d’Auguste Comte (1797-1857) ont été largement diffusées et étudiées. Il a créé une doctrine philosophique, la philosophie positive, et est l’un des fondateurs de la sociologie. Il a inspiré sous la IIIe République un courant politique encore vivace de nos jours ; et la philosophie positive éclairée de ses disciples, d’Émile Littré à Jules Ferry, a ouvert la voie d’une démocratisation de l’accès à l’éducation et au savoir à partir des années 1880. Si l’on pousse plus loin, on peut même considérer que notre pays est structuré par la pensée de Comte, au moins autant que par celle de Descartes.

Pourtant, c’est dans la science exacte, celle de ses études, celle des relations liées à ses activités professionnelles, que Comte cherchera compulsivement la reconnaissance. Pendant toute sa vie, il mène un combat personnel pour être reconnu par la communauté scientifique, notamment l’Académie des sciences et l’École polytechnique (dont il était ancien élève).

À travers ces caractéristiques, il nous semble à analyser dans le cadre de de ce que nous avons appelé alterscience[1] : de la part d’un homme de science (et Comte l’était, par sa formation polytechnicienne et par ses activités professionnelles), une ambivalence fascination/rejet[2] vis-à-vis de la science – rejet illustré par la critique virulente des institutions scientifiques, mais aussi de certaines des théories scientifiques naissantes à son époque ; opposition à la spécialisation de la science et exaltation d’une science globale (holisme) ; le tout accompagné d’une forme de vitupération lancinante. Enfin, les vicissitudes qu’il rencontre dans sa vie professionnelle, voire personnelle, sont systématiquement analysées à l’aune de sa théorie philosophique – presque comme des illustrations, voire des preuves.

 

 

Un homme de science, par sa formation et ses activités

Pendant longtemps, Comte exerce des fonctions liées aux mathématiques. Congédié de l’École polytechnique avec l’ensemble de sa promotion X1814 en 1816, juste après la Restauration, il est pendant quelques années, de 1817 à 1824, secrétaire de Saint-Simon, qui lui assure une initiation philosophique mais avec lequel il se brouille.

En 1824, ayant besoin d’assurer sa subsistance, il caresse, à 26 ans, l’idée d’entrer à l’Académie des sciences[3] – il n’a pourtant aucun résultat mathématique à son actif. Il devient répétiteur de mathématiques à l’institution Laville (qui assurait la préparation au concours de Polytechnique), tout en cherchant à obtenir un poste à l’École polytechnique. Il y est nommé répétiteur adjoint d’analyse (en 1832), ainsi qu’un des examinateurs d’admission (en 1838) : c’est l’ensemble de ces fonctions à caractère scientifique qui assureront pendant une vingtaine d’années les moyens de sa subsistance. Cependant il les jugeait indignes de lui[4] : il se battra pour être professeur en titre d’analyse mathématique à l’École polytechnique (en 1830 au départ de Cauchy, en 1836 à la mort de Navier, en 1840 à la mort de Poisson). De manière si virulente et si inappropriée qu’il finira par y perdre toutes ses fonctions : il est remercié de ses fonctions d’examinateur d’admission en 1844 (à la suite de la fameuse ‘Préface personnelle’ de 1842 – texte BibNum), et perd son poste de répétiteur en 1852.

 

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Si Comte est homme de science, par sa formation et sa pratique de répétiteur de mathématiques, il l’est aussi par maintes autres activités : il donne des conférences de vulgarisation scientifique – à l’époque où ces conférences en direction des « ouvriers » se développent, dans la droite ligne du saint-simonisme. Il écrit aussi des ouvrages qui se veulent scientifiques, comme le Traité élémentaire de géométrie analytique à deux et à trois dimensions (1843)[5] ou le Traité philosophique d’astronomie populaire (1844).

 

 

Figure 2 : On remarquera la signature : « par M. Auguste Comte, ancien élève de l’École polytechnique, répétiteur d’analyse transcendante et de mécanique rationnelle à cette école, et examinateur des candidats qui s’y destinent »

 

Enfin, il entend inscrire son œuvre philosophique dans la science, et lui-même se voit comme un scientifique sa vie durant ; dès 1822, à 24 ans, il écrit, dans son style habituel utilisant le général pour décrire le particulier (lui-même) :

Nous comprenons ici au nombre des savants, conformément à l'usage ordinaire, les hommes qui, sans consacrer leur vie à la culture spéciale d'aucune science d'observation, possèdent la capacité scientifique, et ont fait de l'ensemble des connaissances positives une étude assez approfondie pour s'être pénétrés de leur esprit et s'être familiarisés avec les principales lois des phénomènes naturels[6].

 

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De ses échecs répétés au poste de professeur à l’École polytechnique, et du manque d’intérêt que manifeste le corps savant à sa théorie philosophique, Comte va concevoir une forme de rancœur – il s’aigrit contre l’institution scientifique, contre les savants ; et ce via l’écriture – sa seule arme –, dans un style qui dessert son propos et peut le faire apparaître vaniteux, voire antipathique[7].

Cette acrimonie de Comte grandit de 1830 à 1842 jusqu’à éclater, sous forme de « délire de la persécution[8] », dans la ‘Préface personnelle’ du tome VI et dernier de son Cours de philosophie positive (1842). Nous appuyant sur ce texte, comme sur d’autres écrits de Comte, nous souhaitons montrer les différents ressorts argumentatifs de sa vitupération contre la science, et notamment contre les institutions de la science et certains de ses représentants.

 

 

Figure 3 : id. légende fig.2 supra.

 

 

 

 

Esprit de détail vs Esprit d’ensemble

Son leitmotiv sur « la vicieuse prépondérance continue de l’esprit de détail sur  l’esprit d’ensemble », organisée par les institutions scientifiques, s’amplifie à la suite de ces échecs répétés, avec une gamme fournie de termes pour dénoncer la science de son temps, comme les recherches spéciales ou « le régime dispersif propre aux académies scientifiques actuelles, caractérisé par leur morcellement empirique » ou, ailleurs, « le morcellement caractéristique de ces corporations, image fidèle et suite nécessaire de leur dispersion mentale ». Dans un bel agrégat de ses deux termes favoris, il parle d’une « spécialité dispersive » conduisant forcément à un « rétrécissement intellectuel », et ailleurs d’une « spécialisation aveugle et dispersive[10] ».

Au-delà de ce florilège, que se joue-t-il là ? C’est l’époque de la montée en puissance d’une science plus spécialisée : la physique mathématique, l’analyse. Les résultats mathématiques s’accumulent : avec la spécialisation vient une forme d’exigence de résultats qui ne fera qu’aller croissant. La science est plus difficile à comprendre par « l’honnête homme ». Avec sa vision unitaire de la science, plus englobante que spécialisée, Comte veut une science qui soit compréhensible par tous, où la philosophie et l’histoire propres à chaque discipline aient toute leur place. C’est aussi le début d’une forme de vulgarisation de la science qui se joue dans ce débat – et Comte est un jalon important dans l’histoire de la vulgarisation scientifique.

Enfin, troisième enjeu toujours actuel, c’est celui des qualités requises d’un enseignant : pour Comte, un professeur à Polytechnique ne doit pas être un mathématicien spécialisé, mais un bon pédagogue. Cauchy, professeur de 1816 à 1830, était le plus grand mathématicien de son temps, mais piètre enseignant, ce que dénonçait Comte. Et il avait la même opinion, fondée, sur le mathématicien qui lui fut préféré en 1840, Charles Sturm. Tandis que lui, Comte, se décrivait, à raison sans aucun doute, comme un bon professeur – capable, par exemple, de mêler des éléments d’histoire et de philosophie des sciences à son enseignement de mathématiques.

 

 

 

Contre la science de son temps

Une autre caractéristique du rapport de Comte à la science est son rejet – son incompréhension ? – d’une part significative des développements de la science de son temps, ainsi que des nouvelles branches scientifiques naissantes à son époque. Il apprécie très mal l’évolution rapide des mathématiques qui s’est faite depuis ses études : il s’oppose à l’analyse théorique, telle qu’elle commence à être enseignée à Polytechnique dans les années 1830, sous l’impulsion de Cauchy puis de Liouville. Avec son sens de la formule, il déplore que Polytechnique soit devenue « une école monotechnique », centrée sur l’analyse et ses « stériles intégrales », une algèbre théorique et formaliste : une sorte de « séminaire algébrique[11] » réservé aux initiés. Chez Liouville, responsable de cette évolution, il dénigre « l’art spécial des transformations analytiques » : trop de formules, trop de chiffres. Il faut régénérer l’enseignement mathématique à Polytechnique, en remettant l’analyse à une place moins importante, en « cessant d’y faire prédominer la forme sur le fond », « les signes sur les idées » : il convient d’instituer « une plus juste harmonie entre le point de vue concret et le point de vue abstrait ».

Cette critique de l’évolution de l’École polytechnique (qu’il vénérait par ailleurs – on retrouve une ambiguïté similaire à son rapport à la science) est aussi à rapprocher du point précédent – son désir d’une science généraliste, avec des professeurs compétents et non des spécialistes Comte refuse une forme d’institutionnalisation de la science – et, partant, de spécialisation. C’est pourtant bien, parmi d’autres facteurs, la création de Polytechnique en 1794 qui avait marqué le début d’une institutionnalisation de l’enseignement de la science…

 

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Comte s’oppose aussi à la statistique naissante, qui commence d’être utilisée dans les sciences organiques pourtant chères à Comte, comme la médecine (en hygiène publique notamment). Cette science statistique, « la vaine théorie des chances[12] », propagée avec la « caution » des mathématiciens, est « une aberration radicale de l’esprit mathématique », une application « puérile et déplacée », signe d’une « anarchie mathématique[13] ». On ne peut fonder une prétendue science sur la notion d’opinion, telle qu’exploitée par les statistiques : seuls les faits suffisent. Quant à la théorie générale des probabilités, Comte « n’avai[t] à porter [sur elle] qu’un jugement négatif[14] ».

En physique aussi, il s’oppose à un certain nombre d’avancées. En astronomie, malgré le rapport de 1803 de J.-B. Biot sur la météorite de L’Aigle (Orne) qui avait fait accepter par le corps savant le fait que les météorites venaient du système solaire et non d’éruptions volcaniques terrestres, il se rallie à l’ancienne opinion de Lagrange, contre celle de Laplace[15]. Il considère Le Verrier, qui avait découvert la planète Neptune « au bout de sa plume[16] » (c'est-à-dire par le calcul et non l’observation), comme un « marchand de planètes subjectives[17] ».

 

Figure 4 : Caricature in L'Illustration, n° 193, vol.8, samedi 7 novembre 1846, pl.  p. 156. La phrase d’Arago est là illustrée par l’astronome anglais Adams (celui qui a vu Neptune dans le ciel à l’endroit calculé par Le Verrier) : « M. Adams découvrant la nouvelle planète dans le rapport de M. Leverrier » (crédit de numérisation de l’image Observatoire de Paris – avec les remerciements de BibNum)

 

 

À propos de l’alors récente théorie ondulatoire de la lumière, il parle des « prétendues interférences optiques[18] », pourtant attestées par Young en 1803 et expliquées par Fresnel en 1818. Il renvoie dos à dos cette théorie et la théorie concurrente de l’émission de Newton, en évoquant pour toutes deux « la nullité radicale de ces conceptions anti-scientifiques[19]» : pour Comte, l’idée même d’une science hypothético-déductive, ou d’une théorie scientifique, non directement validée par l’expérience, est difficile à accepter[20]. Se dessine dans ces phrases la conception positiviste qui imprégnera la physique française de la deuxième partie du xixe siècle et l’empêchera de participer à la révolution de la physique théorique au début du xxe siècle.

Quoique lié au point précédent (la promotion d’une science vulgarisée et compréhensible par tous), ce point est plus difficilement explicable chez Comte. Sa vision se fonde d’abord et avant tout sur la science qu’il a apprise pendant ses études polytechniciennes – le reste ne serait qu’élucubration, non relié à l’histoire, non aisément vulgarisable. Comme persiflera Joseph Bertrand (1822-1900, X1839) en 1895, alors au faîte de sa gloire comme Secrétaire perpétuel, « Auguste Comte, pendant toute sa vie, conserva, avec le style d'un écolier, le savoir scientifique d’un bon élève[21] ». Si l’on essaie d’expliquer la position comtienne, la question reste toutefois posée : il est possible qu’un vulgarisateur de la science, qu’un pédagogue, soient réticents à enseigner la science en train de se faire, et préfèrent s’en tenir (parfois par paresse, pour l’enseignant) à une science établie ; cependant, il est inconcevable qu’il critique (voire parfois même dénigre, dans la forme et le style qu’il utilise) une partie de la science en train de se faire – c’est pourtant ce que faisait Comte.

 

 

Interpréter sa vie à l’aune de sa théorie, comme preuve de celle-ci…

La ‘Préface personnelle’ de 1842 est un modèle du mélange des genres entre un discours qui expose une doctrine philosophico-scientifique (celle de la philosophie positive, dans le corps de ce dernier tome, précédé par les cinq tomes précédents) et un discours centré sur l’auteur – ici les vicissitudes de Comte mises en scène et analysées à l’aune de sa théorie philosophique, qui en premier lieu s’applique à sa propre vie[22].

Les avanies qu’il rencontre dans ses ambitions professorales ou dans « [s]a laborieuse existence personnelle », ses démêlés avec la gentry scientifique qui s’oppose « à [s]on légitime essor » sont en « intime connexité avec l’état général de la raison humaine au dix-neuvième siècle[23] » : propension déjà rencontrée à décrire le particulier (lui-même) comme représentatif du général – faisant de Comte un cas exemplaire, à la fois comme exemple d’application de sa théorie philosophique et comme statut de victime expiatoire (faire un « exemple »). Et Comte d’interpréter l’histoire du siècle à la lumière de cette exemplarité – peut-être pourrait-on d’ailleurs émettre l’idée que la forme suprême du positivisme, doctrine fondée sur la primauté des faits et de l’expérience, consisterait à ne s’appuyer que sur ses propres expériences personnelles ?

Ainsi, en 1816, c’est l’« école théologique » qui est responsable de son éviction de l’École polytechnique – c'est-à-dire les forces de la Restauration conservatrice d’une monarchie absolue. Sans l’action malveillante de « ce parti incorrigible depuis cinq siècles », Comte aurait bien évidemment « obtenu seize ans plus tôt [...] la modeste position[24] » de répétiteur à Polytechnique obtenue en 1832. Depuis 1830, c’est le « parti métaphysique » qui a chassé le parti théologique – à savoir Louis-Philippe et l’orléanisme qui ont mis fin à l’exercice absolu du pouvoir par Charles X. C’est donc le deuxième état de son système de philosophie, même s’il est « plus souple et plus éclairé que le précédent[25] », qui va s’opposer au « légitime essor » de Comte et à celui du troisième état, l’état positiviste. Ce parti métaphysique se compose de deux redoutables tendances : il est « soit gouvernant, soit aspirant[26] » (c'est-à-dire le pouvoir royal orléaniste ou l’opposition républicaine et libérale). Le parti métaphysique « gouvernant » est représenté chez Comte par Guizot, le ministre de Louis-Philippe, qui refuse en 1832 la création d’une chaire au collège de France que Comte lui avait proposée à son bénéfice :

Or, après diverses tergiversations, M. Guizot, qui a fondé, là et ailleurs, pour ses adhérents ou ses flatteurs, tant de chaires inutiles ou même nuisibles, fut bientôt entraîné, par ses rancunes métaphysiques, à écarter définitivement une innovation qui pouvait honorer sa mémoire [...][27].

 

Figure 5 : François Guizot (1787-1874) ; photographie par Felix Nadar (WikiCommons)

 

Le parti métaphysique « aspirant », c'est-à-dire l’opposition républicaine, est représenté chez Comte par Arago, le Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, son « ennemi reconnu », qui l’empêche d’être nommé professeur à Polytechnique, et contre lequel Comte mène une forme de combat personnel :

Toute personne bien informée sait même maintenant que les dispositions irrationnelles et oppressives adoptées depuis dix ans à l’École polytechnique émanent surtout de la désastreuse influence exercée par M. Arago, fidèle organe spontané des passions et des aberrations propres à la classe qu’il domine si déplorablement aujourd’hui[28].

Car les métaphysiciens, qui par ailleurs dominent la presse, voient avec crainte « surgir une philosophie supérieure à leur influence, et qui tend à faire cesser leur prépondérance » : c’est la philosophie comtienne. Aussi, quel que soit l’antagonisme des classes « entre lesquelles est aujourd’hui partagé l’empire intellectuel », toutes convergeront contre lui. Comte met en scène son isolement, celui du martyr exemplaire, face à ce front uni du parti métaphysique dominant et du parti métaphysique aspirant :

Presque seul alors je compris que, quelque opposition mutuelle qui dût, en effet, exister entre ces diverses tendances spéculatives, leur commune nature métaphysique les réunirait toujours contre moi[29].

 

 

… et, conséquemment, distinguer les bons savants des mauvais

De manière corollaire, Comte distingue en permanence les bons savants des mauvais. Les premiers sont ceux dont il estime la méthode conforme à l’approche positive. Il se trouve que ce sont souvent aussi, plus prosaïquement, ceux qui l’ont aidé dans sa carrière, comme les mathématiciens Poinsot et Navier. Malgré le fier service que ce dernier lui avait rendu en lui offrant une place de répétiteur de son cours à Polytechnique en 1832, il est égratigné de manière quelque peu fielleuse :

un géomètre fort recommandable (feu M. Navier), dont la rare élévation morale honorait notre monde scientifique, et dont l’esprit, quoique trop exclusivement mathématique, avait pourtant su discerner, à un certain degré, ma valeur caractéristique[31].

Parmi les mauvais savants, on trouve tous les ennemis de Comte : Laplace, Poisson, Arago… – tous ceux qu’on appellerait de nos jours (ou au cours du xxe siècle) des mandarins de la science. En mai 1840, deux semaines après la mort de Poisson, il stigmatise « les nombreuses places qu’[il] avait si scandaleusement absorbées[32] ». La Mécanique céleste de Laplace est critiquée : c’est un ouvrage trop spécial, qui dénote une marche peu philosophique, sans « sentiment profond de la vraie filiation nécessaire des diverses conceptions astronomiques » – sentiment que Comte estime posséder et développer dans son Traité philosophique d’astronomie populaire. Le corps docte reste malheureusement « à l’extase envers Laplace, Poisson ».

Duhamel, mathématicien de second rang, de la même promotion que Comte, plutôt neutre à son égard, est décrit comme « le seul qui ait ajouté à la théorie de Fourier quelque perfectionnement réel quoique secondaire » : pour Comte, les travaux notoires de Poisson sur la théorie de Fourier sont sans valeur, à supposer qu’il en ait eu connaissance – puisque Comte « [s’]interdi[t] toute lecture quelconque de journaux politiques ou philosophiques[33] ».

Finalement, l’époque est devenue bien morose, et le niveau de la science a baissé, car elle se fourvoie dans des branches spéciales ou nouvelles sans intérêt, et les mauvais savants ont pris la place des bons :

nous avons la monnaie des Lagrange, des Monge, des Fourier, etc., dans les Poisson, les Cauchy, etc[34].

 

 

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  L’acrimonie que Comte développe à l’égard des savants de son temps s’explique par une double déception : ils ne l’ont pas soutenu dans sa carrière et n’ont pas adhéré à son système de philosophie positive. Cette déception, tournant à la frustration, est d’autant plus grande que, dans sa fascination de la science, il comptait bien

sur l’appui, au moins moral, de la classe scientifique, qui semblait devoir prendre un vif intérêt direct à l’extension décisive de la positivité rationnelle[35].

Même si les membres de cette classe scientifique étaient encore trop absorbés par leurs occupations spéciales, voire affectés de « certaines habitudes intellectuelles vicieuses », ils auraient dû être juges naturels des travaux de sa nouvelle philosophie. Comte cherche la reconnaissance du corps scientifique dont il est issu et auquel il se mesure. Il a besoin, afin de valider et diffuser sa théorie, de l’approbation de ceux qui pratiquent effectivement la science exacte :

Les résultats obtenus par les hommes qui suivront la nouvelle direction philosophique, n'auront de valeur et d'influence qu'autant qu'ils seront adoptés par les savants spéciaux, comme ayant le même caractère que leurs travaux habituels.

Et cette approbation n’est pas au rendez-vous :

Le milieu social cherche des généralités nouvelles, pendant ce temps il est profondément déplorable que la science réelle, seule destinée à fournir le principe de cette grande solution, soit à tel point dégradée par l’impuissance de ses interprètes.

Le milieu social, c'est bien sûr la société post-révolutionnaire ; mais c’est aussi lui[36], Auguste Comte, inventeur de la philosophie sociale et des sciences sociales, chercheur des « généralités » (le terme est connoté très positivement chez Comte), c'est-à-dire des concepts englobant les différentes sciences en une philosophie positive. Il attendait de la science quelque chose que finalement le corps savant ne lui donne pas. Fascination et besoin de la science d’une part, rejet des savants d’autre part – l’opposition apparaît à travers cette phrase amère de Comte :

La science est une bien grande chose ; mais les savants, surtout actuels, sont en général de pauvres personnages[37].

 

 

Enfin, contre l’académie des sciences

Prise de position quasi unique dans le monde scientifique cinquante ans après les faits, Comte n’est pas loin de défendre la suppression de l’Académie par la Révolution. Prenant la précaution de mentionner les « vrais reproches de vandalisme adressés à tel acte », il estime que l’institution avait alors déjà « rendu tous les principaux services intellectuels » – elle avait accompli sa tâche. Son influence ultérieure, après sa refondation, a été « bien plus contraire que favorable à la marche des conceptions modernes[38] ».

Car l’Académie ne fut que source de déboires pour la carrière de Comte. De manière assez irréaliste, en 1824 il imagine y entrer. Par la suite, elle sera liée à ses échecs répétés au poste de professeur à Polytechnique : en effet, elle donnait son avis au ministre sur ces nominations[39], après l’avis du Conseil d’instruction de l’École. Lors de sa tentative de 1830, il n’est pas entendu à l’Académie malgré sa demande, ce qui lui fait déplorer l’année suivante « le singulier silence gardé envers moi par la section de géométrie [de l’Académie] » ou, ailleurs, que « le dédaigneux silence de la section de géométrie est aussi irréfléchi qu’inconvenant[40] ». Et, en 1840, l’Académie, comme le Conseil d’instruction[41], ne retient qu’un nom sur la liste de succession à Duhamel, celui de Sturm (qui sera nommé), sans mentionner Comte sur la liste de propositions au ministre cette fois-ci. Comte déplorera la propension qu’avait l’Académie à ne retenir que ses propres membres : là-dessus il avait certes raison !, mais l’ensemble du processus scientifique institutionnel qui se mettait ainsi en place avait une certaine cohérence, qu’il rejetait.

 

 

Si c’est à mots couverts que Comte voulait supprimer l’Académie, il souhaitait en tout état de cause la réformer. Déjà Saint-Simon (mais peut-être étaient-ce les idées de son secrétaire Comte) estimait que l’organisation « de la 1re Classe de l’Institut entrave la marche de l’esprit humain ». Il fallait diviser cette 1re Classe (l’Académie des sciences) en deux classes distinctes, dotées chacune de leurs fonds et de leurs secrétaires : d’une part la classe des physiciens des corps inorganiques, les fameux « brutiers », d’autre part la classe, à créer, des physiciens des corps organiques. Enfin, une nouvelle classe de philosophie devait coiffer « ces deux classes secondaires ». Comte reprend cette dernière idée, celle d’une classe nouvelle et prépondérante, la section de « physique sociale et philosophie positive », dont la « suprématie rationnelle » sur les autres sections est à marquer par le « privilège exclusif de fournir systématiquement le président annuel et le secrétaire perpétuel », et la participation systématique « aux délibérations de chacune des autres sections ».

 

Quelques considérations conclusives

Même si ici nous mettons ici un coup de projecteur inhabituel sur la relation de Comte à la science et à l’institution scientifique, cette relation est loin d’être négligeable, à commencer pour Comte lui-même. Elle a eu des conséquences : c’est justement cette relation-là qui ouvre, après sa mort et compte tenu de l’influence qu’a eue sa pensée, un certain nombre de fronts dans la science en France et dans les rapports entre science et société, dont certains sont encore actuels.

Par exemple, celui de la physique en France après 1870. Si le saint-simonisme apporte des ingénieurs de valeur à la France qui lui permettent de bien mener la seconde révolution industrielle, il est possible qu’une prégnance du positivisme ait empêché les physiciens français de prendre le tournant de la physique théorique[43] : cette physique théorique, souvent mathématique, fondée sur des hypothèses, vérifiées parfois bien plus tard par l’expérience (méthode hypothético-déductive)[44], s’opposait frontalement à l’empirisme inductif auquel étaient formés les physiciens français. Ils resteront attachés à une physique classique – par exemple celle de l’optique, où l’école française de la fin du xixe siècle reste une des meilleures.

C’est d’ailleurs à l’aune de cette tradition positiviste qu’il faut comprendre un des reproches qui sera adressé plus tard à Einstein, dont la théorie de la relativité est elle aussi une science hypothético-déductive : celui de faire de la métaphysique. Ce reproche doit être compris à la lumière de la loi des trois états de Comte – l’état théologique, auquel succède l’état métaphysique, puis l’état positiviste : avec la relativité et ses prétendues spéculations métaphysiques non vérifiables, la science et sa méthode revenaient en arrière par rapport à la science positive de Comte.

 

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Quant aux autres débats ouverts par Comte : nous les avons mentionnés. Et, si l’on doit porter un jugement, à charge ou à décharge (à supposer que cela ait un sens de porter un jugement sur une pensée aussi foisonnante), on peut prendre l’image du verre à moitié plein ou à moitié vide.

Pour aller plus loin à charge (verre à moitié plein) : tout est jugé chez lui à l’aune de critères visant à conforter sa théorie philosophique, voire parfois sa position personnelle. Quand il dénigre la théorie ondulatoire parce que selon lui rien n’y est vérifiable, ou les statistiques naissantes parce que les faits priment sur les opinions, il refuse a priori des idées qui n’entrent pas dans son cadre philosophique. Avoir de tels a priori est à l’opposé de la démarche scientifique. Une forme d’humilité, une ouverture à la discussion ou la possibilité de se remettre en question sont, théoriquement, les vertus du scientifique, même s’il peut lui arriver de ne pas s’y tenir. Mais un comportement qui, comme celui de Comte, nie systématiquement ces vertus, est à relever. La vitupération intervient naturellement dans un tel cadre : la fermeture à toute discussion et l’illusion d’une pensée toute-puissante[45] sont à l’opposé elles aussi d’une démarche scientifique – alors que justement l’on prétend faire de la science : c’est ce type de décalage qui marque l’alterscience.

Mais à l’inverse, pour aller plus loin à décharge (verre à moitié vide), et conclure de manière… positive – d’autant que l’on ne saurait qu’être partagé sur Comte : les débats qu’il ouvre restent terriblement d’actualité. Le meilleur scientifique est-il le meilleur professeur ? Quelle science – quel état d’avancement de celle-ci – doit-on vulgariser ? La vulgarisation de la science doit-elle impérativement inclure son histoire et sa philosophie ? Quelle est le statut de la vulgarisation au sein de la recherche ? Et, plus difficile : les sciences humaines sont-elles comparables aux autres sciences, ont-elles vocation à être scientifisées ? Simple échantillon, que nous avons évoqué ici, des multiples sujets qu’il aborde.

On voit que ces questions – ici énoncées en termes contemporains – suscitent toujours notre intérêt, allument nos querelles, en se posant peut-être avec plus d’acuité encore de nos jours. Même si Comte y répond de manière souvent peu mesurée, on peut lui savoir gré de les avoir mises sur la table. La puissance de sa pensée, la ténacité et le caractère rebelle, anti-système de l’auteur, nous ont sans doute marqués plus que nous l’imaginons. Finalement, même (et surtout) si l’on ne connaît pas Comte, on est, à des degrés divers, tous un peu comtiens.

 

 

 

 (mai 2017)

 

 

(une version plus courte de ce texte est parue dans le Bulletin de la Maison d’Auguste Comte, n°16, décembre 2016, p. 17-22, suite à notre conférence faite à la Chapelle de l’Humanité, Paris, le jeudi 21 avril 2016 ; nous tenons à remercier vivement Michel Bourdeau, IPHST, auteur BibNum, de ses remarques sur le premier projet de texte ; il va de soi que l’article publié n’engage que son auteur)

 

 



[1]. A. Moatti, Alterscience. Postures, dogmes, idéologies, Odile Jacob, 2013. Nous avons consacré le chapitre XIII de cet ouvrage à Comte – notre article reprend ici certains de ces éléments. Il y a bien évidemment de nombreuses autres facettes, tout à fait remarquables, chez Comte ; nous revendiquons néanmoins cette approche du personnage, qui nous a paru insuffisamment étudiée.

[2]. Comte lui-même, ses idées, sa personne, peuvent aussi susciter le même type de fascination-rejet.

[3]. « […] une bonne chaire dans l'instruction mathématique, et la perspective du premier fauteuil géométrique vacant à l'Académie des sciences, seraient la suite presque infaillible d'un tel succès » (lettre à Valat, 6 septembre 1820) ; « En un mot, pour te dire naïvement toute ma pensée, sans modestie comme sans orgueil, je viserai à entrer le plus promptement possible à l'Académie des sciences, et, dès lors, ma carrière sera assurée. » (lettre à Valat, 8 septembre 1824).

[4]. « [en 1832] je fus introduit enfin à l’École polytechnique, dans le grade le plus subalterne […] » (Préface personnelle au Cours de philosophie positive, tome VI et dernier, 1842).

[5]. Le mathématicien Coriolis (1792-1843, X1808), pourtant plutôt bien disposé à l’égard de Comte, fait un rapport peu amène sur cet ouvrage (mémoire manuscrit, dossier Coriolis, Archives de l’Académie des sciences – le rapport est repris dans le procès-verbal du Conseil d’Instruction, 12 mai 1843, Archives de l’École polytechnique). Sur les relations entre les deux hommes, voir A. Moatti, Le Mystère Coriolis, CNRS Éditions, 2014.

[6]. Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société, 1822 [éditions Aubier 1970]. Bien évidemment cette phrase a une portée plus générale chez Comte : mais elle caractérise à notre sens une forme de réflexivité dans ses écrits – ainsi, là, la description qu’il fait du savant idéal (relativement à sa philosophie) s’applique très bien à l’image qu’il a de lui-même.

[7]. Coriolis, pourtant toujours mesuré, lui, parlait d’un « esprit si roide, si plein de vanité » (Lettre à sa cousine Cécile Benoît, 3 juin 1840, Archives de l’Académie des sciences). Dans une époque et un registre très différents, le romancier Michel Houellebecq parle de « folie délirante » chez Comte (préface à Théorie générale de la religion : ou Théorie positive de l'unité humaine, rééd. Mille et Une Nuits, 2005).

[8]. Maurice Boudot, « De l’usurpation géométrique », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 4, oct -déc. 1985, p. 391-392, p. 399-402.

[9]. Par exemple Lucien Lévy-Bruhl, Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1898, p. 395 : « Sa phrase, bien française de langue et de structure, est surchargée d’adverbes et d’adjectifs ; son style prolixe, ses répétitions fatigantes ». Et il poursuit : « Non qu’il fût incapable de donner à sa pensée une expression digne d’elle ; Peu de philosophes ont sur, mieux que lui, frapper de belles et pleines formules. ». Le caractère balancé de cette phrase (à la fois critique et laudatif) pourrait être un exemple de la fascination-rejet qu’à notre sens Comte exerce.

[10]. Discours préliminaire, in Traité philosophique d'astronomie populaire ou Exposition systématique de toutes les notions de philosophie astronomique, soit scientifiques, soit logiques, qui doivent devenir universellement familières, Paris, Carilian-Goeury et V. Dalmont, 1844.

[11]. Le terme de séminaire n’est pas à prendre ici au sens moderne d’un colloque scientifique, mais au sens religieux, renvoyant à l’âge théologique décrit par la philosophie comtienne.

[12]. [CPP 1842, ‘Préface personnelle’]

[13]. Toutes citations données par Ernest Coumet, « Auguste Comte. Le calcul des chances, aberration radicale de l’esprit mathématique », Mathématiques & Sciences humaines, 41e année, n° 162, 2003, p. 9-17. Cet auteur souligne que les attaques de Comte contre les probabilités sont à chaque fois brèves mais précises, et constantes à travers son œuvre.

[14]. [CPP 1835, 27e leçon]

[15]. « L’idée de Laplace, qui envisage [les météorites] comme des astres essentiellement étrangers à notre monde [...] me semble peu rationnelle et radicalement contraire au principe si bien établi de l’entière indépendance des physiques intérieures de notre système envers les physiques vraiment sidéraux » ([CPP 1835], 27e leçon).

[16]. Arago, Note aux Comptes Rendus de l’Académie des sciences, 1846, vol. 23, p. 659-662. Le calcul de Le Verrier (à qui est attribué la découverte de Neptune) est confirmé par l’observation par l’astronome allemand Galle de la planète, un mois plus tard.

[17] [SPP], préface du tome 2, p. VI-VII.

[18]. [SPP], p. 531.

[19]. [CPP 1835, 33e leçon]

[20]. Sur ce sujet, on peut lire l’article de Michel Bourdeau (« La théorie positive des hypothèses », conférence Hypothetical Reasoning, université de Tübingen, 23-24 août 2014, en ligne), où le rapport complexe entre Comte et la notion d’hypothèse scientifique est très finement analysé.

[21]. J. Bertrand, « Auguste Comte et l’École polytechnique », Revue des Deux Mondes, 4e période, tome 138, 1896 (pp. 528-548) (en ligne Wikisource).

[22]. Maurice Boudot (1931-2003), professeur de philosophie et de logique à la Sorbonne, a résumé ironiquement cette propension : « Mais, dans l’univers comtien, il n’y a aucun événement qui ne soit significatif. Tout est explicable par des causes générales, jusqu’aux infidélités de sa femme qui est restée à l’état métaphysique. Il n’y pas le moindre événement d’une vie individuelle qui ne puisse prendre sens pour qui sait comprendre, surtout lorsque celui qui est en cause est destiné à devenir le premier grand-prêtre de l’humanité » (M. Boudot, « De l’usurpation géométrique », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 4, oct -déc. 1985, p. 391-392, p. 399-402.

[23]. [CPP 1842], p. VI. On dénombre trois occurrences de la locution « mon légitime essor » dans les trente-quatre pages de cette préface.

[24]. [CPP 1842], p. XVIII.

[25]. [CPP 1842], p. XIX.

[26]. [CPP 1842], p. XIX.

[27]. Sur la vision par Guizot de cet épisode, voir ses Mémoires, tome III (cité par Émile Littré, Auguste Comte et la philosophie positive, Hachette, 1863). Le ministre se rappelle « un homme modeste en apparence, quoique au fond prodigieusement orgueilleux, et qui, sincèrement, se croyait appelé à ouvrir, pour l'esprit humain et les sociétés humaines, une ère nouvelle ». À propos de la chaire proposée par Comte, Guizot assène : « Quand j’aurais jugé à propos de faire créer cette chaire, je n’aurais certes pas songé un moment à lui donner. »

[28] [CPP 1842], p. XVI, note.

[29]. [CPP 1842], p. XXVIII.

[30]. L’ensemble de l’épisode est narré dans Mary Pickering, Auguste Comte : An Intellectual Biography, vol. II, Cambridge University Press, 2009, p. 290-291.

[31]. [CPP 1842], p. XIII.

[32]. Lettre de Comte à Valat, 10 mai 1840.

[33]. [CPP 1842], p. XXXVI. Il ajoute : « Depuis plus de quatre ans, n’ai-je pas lu réellement un seul journal. »

[34]. Lettre de Comte à Valat, 1er mai 1841.

[35]. [CPP 1842], p. XXVIII. C’est là l’expression d’une déception personnelle, mais aussi d’une déception liée à la vision que Comte avait – depuis la période saint-simonienne –  d’une fonction sociale du corps scientifique. Il est, à nouveau, difficile de démêler chez Comte ce qui ressortit à chacun de ces deux sujets – toujours très imbriqués chez lui.

[36]. Pointons à nouveau le fait, comme en note 6 ci-dessus, qu’une phrase de Comte a souvent une double lecture : générale, mais aussi le décrivant lui-même (le général pour décrire le particulier) ; ceci peut être facilement utilisé par ses détracteurs – nous avons essayé de ne pas tomber dans ce travers, mais souhaitions montrer ce double sens de la phrase comtienne, à certaines occasions.

[37]. Lettre de Comte à Valat, 10 mai 1840.

[38]. Une réécriture en termes très voisins se trouve chez Comte dans le Traité philosophique d’astronomie populaire, rééd. Fayard, p. 85, note 1 : « L’instinct de progrès qui caractérisait, il y a un demi-siècle, le génie révolutionnaire, avait confusément senti ces dangers essentiels, de manière à déterminer la suppression directe de ces compagnies arriérées [...] Quoique cette audacieuse mesure, si mal jugée d’ordinaire, fût alors prématurée [...] il reste néanmoins certain que ces corporations scientifiques avaient déjà accompli le principal office que comportait leur nature : depuis leur restauration, leur influence réelle a été, au fond, beaucoup plus nuisible qu’utile à la marche actuelle de la grande évolution mentale. »

[39]. Cet avis n’était pas requis pour les nominations aux postes de répétiteur ou d’examinateur d’admission (qu’occupera Comte), considérés comme plus subalternes (et que Comte considérait comme tels).

[40]. Lettre au Président de l’Académie des sciences, 7 mars 1831, in Correspondance inédite d’Auguste Comte, 4e série, Paris, Au siège de la société positiviste, 1904.

[41]. La commission ad’ hoc avait proposé au Conseil d’instruction d’inscrire Sturm à la 1e place, et Comte à la 2nde.

[42]. Voir A. Moatti, Alterscience…., op. cit., p. 47.

[43]. Principalement l’électromagnétisme de Maxwell dans les années 1860, la théorie cinétique des gaz de Boltzmann dans les années 1870, ou la théorie des quanta de Planck à partir de 1900.

[44]. La relativité est un exemple de théorie dont la vérification par l’expérience aura lieu bien après la formulation – mais c’est le cas aussi en physique quantique (discontinuité de Planck, modèle atomique de Bohr, formule de De Broglie).

[45]. Dans notre ouvrage Alterscience, nous rappelions la terrible phrase de John Stuart Mill (1806-1873), son correspondant et longtemps disciple et soutien, presque ami, écrivant en 1873 que Comte a produit « le système le plus complet de despotisme spirituel et temporel qui ait jamais émané d’un esprit humain, sauf peut-être de celui d’Ignace de Loyola ».

 

Sur Auguste Comte en général

  • On lira toujours avec profit les pages que lui a consacrées Alain dans Idées (1932, nb. rééditions) ou l’Abrégé pour les aveugles (1943, id.), ou la Vie d’Auguste Comte par Henri Gouhier (1931, rééd. Vrin, 1997).

 

  • John Stuart Mill, Auguste Comte et le positivisme (1865, rééd. de la trad. fcse par G. Clémenceau L’Harmattan 1999, texte édité par M. Bourdeau) (aussi en ligne Gallica pour édition de 1893)

 

  • Mary Pickering, Auguste Comte : An Intellectual Biography, Cambridge University Press, vol. I (1993, vol. II et III (2009).

 

  • Michel Bourdeau, Auguste Comte. Science et société, CRDP-Canopé, 2013.

 

  • Comte sur BibNum : « Considérations philosophiques sur les sciences et les savants », 1825, analyse par Michel Bourdeau (IPHST), juin 2015 (lien).

 

Sur Auguste Comte et l’École polytechnique

 

  • L’article de Joseph Bertrand (X1838) dans la Revue des deux Mondes, en 1896 (Wikisource).

 

 

  • Bruno Gentil, Auguste Comte, l’Enfant terrible de l’École polytechnique, éd. Cyrano, 2012.

 

Sur « les affaires Comte » à l’École polytechnique (1836, 1840, 1842)

 

  • Bruno Belhoste, La Formation d'une technocratie. L'École polytechnique et ses élèves de la Révolution au Second Empire, Belin, 2003.

 

  • Alexandre Moatti, Le Mystère Coriolis, CNRS Éditions, 2014.