La loi de Parkinson

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La loi de Parkinson
Auteur : Cyril Northcote Parkinson (1909-1993) - historien et essayiste britannique
Auteur de l'analyse : Claude Riveline - Ingénieur général des mines hon., professeur de gestion à l’École des mines de Paris
Publication :

Texte 1 : chapitre 1, “Parkinson's Law, or the Rising Pyramid” // Texte 2 : chapitre 6, “High Vanity, or The Point of Vanishing Interest” // Texte 3 : chapitre 4, “Nonorigination”. (textes 1 et 2 extraits de Parkinson's Law, or The Pursuit of Progress, John Murray, London, 1957; texte 3 extrait de In-laws and outlaws, John Murray, London, 1962.

Année de publication :

1957

Nombre de Pages :
20
Résumé :

Northcote Parkinson (auteur de la célèbre loi de Parkinson, « le travail s’étale pour occuper le temps disponible à son achèvement ») nous livre, sous le masque plaisant de la dérision, d’authentiques traités de sociologie des affaires.

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
mars 2009

Parkinson est au monde anglo-saxon ce que Auguste Detoeuf est à la francophonie : le plus génial humoriste de la vie des affaires du XX° siècle. On trouvera dans le texte BibNum trois chapitres extraits de ses livres les plus connus, chapitres que Claude Riveline fait lire à ses élèves de l’École des mines de Paris, ingénieurs civils et ingénieurs du Corps des mines, depuis qu’il y enseigne la gestion. Car ce sont d’une part des éléments de culture générale par leur immense notoriété, d’autre part, sous le masque plaisant de la dérision, d’authentiques traités de sociologie des affaires.

 


 

Claude Riveline, ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur général des mines, est professeur d’évaluation des coûts et de gestion scientifique à l’École des mines de Paris depuis 1967.

 

 

 

Introduction aux textes de C. Northcote Parkinson (1909-1993)
Claude Riveline - Ingénieur général des mines hon., professeur de gestion à l’École des mines de Paris

Les trois textes qui suivent sont à mes yeux les plus géniaux, les plus instructifs, les plus pertinents qui soient pour instruire les étudiants, futurs patrons, sur les réalités de la vie des affaires, en particulier dans les grandes entreprises et les administrations publiques. Je les fais lire depuis toujours à mes élèves de l’École des mines, fonctionnaires du Corps des mines et ingénieurs civils, dans le cadre de mes enseignements de gestion.

 

 

Pourtant, ce sont des textes faciles, très amusants, pleins d’anecdotes pittoresques, rien qui évoque le sérieux académique. La comparaison qui s’impose est avec Rabelais, truculent auteur de caricatures de la scolastique médiévale à bout de souffle, ou avec Courteline, qui tourne en ridicule les mœurs de la bureaucratie si fièrement mise en place par la Révolution et l’Empire.

 

 

Ces deux précédents mettent en relief la fonction de l’humour dans les grandes ruptures culturelles. Quand le savoir officiel professé dans les chaires académiques est de plus en plus décalé par rapport aux réalités de l’heure, une fronde se fait sourdement entendre, mais elle ne dispose pas de tribune. Il ne lui reste que le masque de la dérision.

 

 

Le monde de la gestion, à cet égard, est particulièrement austère dans ses discours, et pourtant très perturbé dans ses fondements, surtout depuis la grande crise qui sévit depuis 2008. Deux grandes catégories de publications se disputent les libraires et les listes de lectures recommandées aux étudiants : les plus anciennes s’inspirent des démarches scientifiques du calcul économique (1), les plus récentes du discours exalté et péremptoire des consultants (2), mais elles ont en commun d’adopter le ton grave qui convient lorsque l’on traite d’argent et de pouvoir. Elles dissertent sur ce qui devrait se passer dans les entreprises, mais ne traitent guère de ce qui s’y passe réellement.

 

 

Pour ma part, mettant à profit ma position dans une Grande école d’ingénieurs à l’abri de la double tyrannie de l’Université et du monde des affaires, et nourri de mes nombreuses recherches sur le terrain, je professe notamment que le coût d’un bien n’existe pas, qu’il n’existe pas de définition rigoureuse d’un profit, et que tous les acteurs de la vie économique sont localement logiques mais qu’il n’y a pas de cohérence entre ces logiques au sein de l’entreprise ; propositions faciles à démontrer mais absentes de la littérature sérieuse. Je me suis donc toujours senti en pleine sympathie avec Northcote Parkinson.

 

 

Celui-ci, de la même manière, ne devait rien au monde académique ni aux grandes entreprises, car il fut un spécialiste d’histoire de la marine, sur laquelle il a publié un grand nombre d’ouvrages, et qui lui a fourni un abondant matériau d’observations de portée universelle.

 

 

Avant de passer à la présentation des textes que j’ai sélectionnés dans l’œuvre de Parkinson, je crois utile de faire mention de son homologue français, Auguste Detœuf , qui a publié dans les mêmes années « Propos de O.L.Barenton, confiseur » (Éditions du Tambourinaire, Paris, 1951), recueil de maximes sur la vie des affaires qui a connu un succès comparable. Detœuf était un ingénieur polytechnicien, successivement fonctionnaire et dirigeant de grande entreprise, qui au soir de son âge a entrepris de philosopher avec humour sur son expérience des affaires. A la différence de Parkinson, il n’adopte pas un ton narratif pour croquer les travers de ses contemporains, il joue le vieux sage amusé qui instruit amicalement son lecteur. Par exemple, pour ironiser sur les ingénieurs-conseils, Detoeuf écrit :

 

Prenez un Ingénieur-conseil : écoutez-le. S’il vous suggère une solution, demandez-lui ses raisons. Et si elles vous paraissent claires et de bon sens, faîtes ce qu’il vous dit. Mais si vous ne les comprenez pas, gardez-vous de croire que c’est parce que la technique vous est inaccessible. Et faîtes ce que vous jugez raisonnable. (p.126).
Pour aborder le même thème, Parkinson (In-laws & Out-laws, chapitre Expertize pp 52 sq.) relate les cocasses aventures de deux entreprises, Historic Homes Ltd et Horseless Carriage Co. Ltd qui font appel l’une et l’autre aux services d’ingénieurs-conseils. Le mode d’exposition est différent, mais le message est sensiblement le même. Sans doute faut-il voir dans ce contraste une manifestation de la différence entre les deux cultures nationales, les Français étant plus portés à rationaliser et les Britanniques à livrer des impressions. Mais un fait n’est pas contestable : tous ceux qui apprécient l’un de ces deux auteurs apprécient l’autre.

 

De mon côté, je publie tous les deux mois dans le Journal de l’Ecole de Paris du Management une « page Idées » d’une inspiration plus proche de Detœuf que de Parkinson. Les dix premières années de cette chronique ont été regroupées dans un volume intitulé « Idées ». Cet ouvrage et le livre de Detœuf figurent dans la rubrique « Pour en savoir plus ».

 

 

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Venons-en à la présentation de ces trois textes. Pour comprendre pourquoi je les fais lire à mes étudiants, il faut avoir présente à l’esprit la théorie issue de la science économique telle qu’elle leur a été présentée dans leurs études antérieures. La gestion d’une entreprise industrielle et commerciale consiste selon cette théorie à combiner des dépenses courantes (achats et salaires) et des dépenses d’investissements pour maximiser un profit. L’entreprise recrute un personnel adapté, en particulier les plus intelligents, comme cadres dirigeants. Cette théorie paraît le bon sens même, mais il faut être conscient du fait que c’est un produit du scientisme du XIXème siècle : plusieurs auteurs ont ainsi écrit que les équations qui gouvernent la gestion d’une entreprise sont formellement les mêmes que celles qui gouvernent un système mécanique, la maximisation du profit jouant le même rôle formel que la minimisation de l’énergie. Les premiers de la classe en mathématiques que j’ai l’honneur d’avoir comme élèves accueillent cette révélation comme une bonne nouvelle.

 

 

Malheureusement, quelles que soient les beautés formelles de cette analogie, sa portée est limitée par le fait que les décisions concernant la gestion du personnel, le choix des investissements, et l’utilisation des talents des cadres sont prises de façon beaucoup plus étrange, anecdotique, irrationnelle, que ne l’exigerait la rigueur mathématique du modèle ci-dessus. C’est cela que développe Northcote Parkinson avec infiniment d’esprit.

 

 

Nous enseignons tout de même le calcul économique classique à nos élèves, pour l’excellente raison qu’ils l’inventeraient tout seuls, mais sans doute de travers, et que c’est la source de concepts d’usage courant comme la rentabilité ou l’actualisation. Mais lors de leurs premiers contacts avec les entreprises, ce qu’ils découvrent les laisse perplexes, et cela les expose à commettre de coûteuses erreurs de jugement. La lecture de Parkinson constitue une salutaire mise en garde.

 

 

J’ai choisi de livrer ces textes dans la langue d’origine, car c’est de l’anglais facile, que l’auteur manie avec beaucoup d’élégance.

 

 

TEXTE N°1: PARKINSON’S LAW, OR THE RISING PYRAMID (3)

 

Ce texte commence par une forte affirmation en forme de théorème :

 

Le travail se dilate jusqu’à occuper tout le temps qui lui est consacré.
Et de décrire la manière dont une dame oisive peut consacrer une journée entière à envoyer une carte postale à sa nièce, opération qui demanderait trois minutes à un homme d’affaires surmené.

 

Le lecteur découvre rapidement deux autres théorèmes qui vont compléter la célébrissime loi de Parkinson, loi qui affirme que les bureaucrates se multiplient inexorablement, par le seul effet de leur volonté d’accroître le nombre de leurs collaborateurs, sans aucune relation avec la quantité de travail qui leur incombe collectivement :

 

Un bureaucrate veut multiplier ses collaborateurs, non ses rivaux. Les bureaucrates se donnent du travail les uns aux autres.
L’auteur détaille ensuite un exemple qui montre comment un individu isolé peut, par application des trois théorèmes précédents, se trouver bientôt nanti de six collaborateurs sans que le travail résultant s’en trouve augmenté, mais sans que l’on puisse reprocher un manque d’activité à tous ces gens.

 

Il expose ensuite deux démonstrations statistiques impressionnantes, l’une empruntée à la marine de guerre britannique entre 1914 et 1928, l’autre au ministère des colonies entre 1935 et 1954. On sent que ces chiffres sont authentiques. Ils disent que le nombre des administrateurs employés par les ministères de tutelle, dans les deux cas, a rapidement augmenté pendant les périodes sous examen, alors que le travail à accomplir, mesuré par l’importance de la marine et l’importance de l’empire colonial, décroissait de façon spectaculaire. Ce phénomène est tellement répandu que l’on parle couramment de croissance parkinsonienne des effectifs.

 

 

Ce chapitre se conclue par un pastiche des articles d’économétrie, où Parkinson s’amuse à modéliser une loi de croissance des effectifs de bureaucrates en fonction de variables fantaisistes, mais toutes liées aux ambitions des employés et aucunement au travail à accomplir.

 

 

J’ai toujours regretté que Parkinson ait limité la portée de sa « loi » aux employés administratifs, plus spécialement les fonctionnaires d’État, et qu’il ne l’ait pas généralisée aux entreprises industrielles et/ou commerciales. On comprend aisément pourquoi : quand une entreprise est astreinte à faire du profit, ses effectifs ne peuvent pas croître impunément.

 

 

Mais sous cette importante réserve, cette loi permettrait d’expliquer deux phénomènes courants, les brutales augmentations de productivité sous l’effet de la concurrence, et la nécessité de la croissance du chiffre d’affaires. Le premier phénomène a été observé par exemple quand l’industrie automobile s’est trouvée bouleversée par les performances du Japonais Toyota, que les autres constructeurs ont rapidement rattrapées. Cela suggère qu’ils disposaient de pas mal de gras. Par ailleurs, l’inexorable pression exercée par la loi en question sur la croissance des effectifs entraîne que, pour survivre, une entreprise à but lucratif n’a pas d’autre solution que de grandir.

 

 

TEXTE N°2 : HIGH FINANCE, OR THE POINT OF VANISHING INTEREST (4)

 

Ce texte est un complément au vaste chapitre des manuels de calcul économique sur le choix des investissements. Ces manuels postulent que tous ceux qui trempent dans ces choix sont compétents. Le contraire, surtout dans le cas d’investissements de grande ampleur, serait choquant. Toutefois, cette hypothèse se heurte à un autre impératif des sociétés modernes : la démocratie. Cette notion implique que de vastes foules aient à se prononcer sur les choix qui les concernent, et rien ne garantit qu’elles en aient la qualification technique.

 

 

Transposée à la vie des pouvoirs publics ou des grandes sociétés anonymes, cette remarque pose la question des débats dans les comités stratégiques, et c’est là que l’apport de Northcote Parkinson est décisif. Son message est devenu presque aussi célèbre que le précédent. Il repose sur une remarque liminaire :

 

Les gens avertis en matière de haute finance se divisent en deux catégories : ceux qui sont très riches et ceux, chercheurs en mathématiques appliquées et maîtres de conférences en économie (en les supposant quasi mourant de faim) qui font profession d’étudier les questions de haute finance. Mais le monde est rempli de gens situés entre des deux catégories, ne connaissant rien aux millions de livres sterling mais bien habitués à penser en milliers. C’est de cette dernière catégorie que relèvent la majorité des membres des comités exécutifs.
Une conséquence de cette observation est que le temps passé à examiner les dépenses n’a aucun rapport avec l’importance de celles-ci, à ceci près qu’il semblerait que plus le montant est élevé, moins on y passe de temps.

 

Cette proposition est assortie d’un exemple : un comité doit débattre de trois sujets : l’achat d’une centrale nucléaire pour 10 millions de livres, la construction d’un garage à vélo pour 350 livres, et le choix des boissons lors de réunions de Comités de Bienfaisance, soit 21 livres par an. Le débat dure deux minutes et demie sur le premier sujet, quarante-cinq minutes sur le deuxième, et une heure et quart sur le troisième. L’explication réside bien entendu dans le fait que presque personne n’a d’idée sur la centrale, certains voient mal les problèmes que pose un garage à vélo, mais tout le monde a quelque chose à dire sur le café et le jus d’orange.

 

 

Toutefois, il existe toujours une limite inférieure au-dessous de laquelle un comité juge que le faible montant est indigne de son attention, d’où le sous-titre du chapitre et l’hypothèse que fait Parkinson :

 

Il serait naturel, à ce point, de se demander si un plus petit montant - £10, peut-être, ou £5 – occuperait le Comité financier pendant un temps plus long encore. À ce propos, nous devons l’admettre, nous sommes encore ignorant. Notre conclusion putative serait qu’il existe un point où l’entière tendance s’inverse, les membres du Comité jugeant que ce montant est en deçà de leur intérêt.
 
 
TEXTE N°3 : NONORIGINATION (6)
 
Mes étudiants, je l’ai dit car j’en suis fier, sont de brillants élèves, mais cette qualité les expose à commettre de coûteuses erreurs lors de leurs premiers contacts avec les entreprises, au cours de leurs stages ou de leurs débuts dans la vie active. En effet, c’est en se montrant savants et intelligents, par écrit et à l’oral, qu’ils ont convaincu des grandes personnes appelées examinateurs de leur mettre de bonnes notes, avec les conséquences les plus bénéfiques sur leur avenir. Ils ont naturellement tendance à croire qu’il en ira de même dans l’entreprise. Une fois de plus, Parkinson les met en garde avec vigueur :

 

En tant que jeune homme d’affaires, vous devez apprendre dès que possible que votre avis ne présente aucun intérêt pour vos prestigieux aînés (p.41). Une réputation d’intelligence est la dernière chose que vous pouvez souhaiter, elle ne vous vaudra que des ennuis. (p.42).
L’explication de ces cruelles vérités est simple : vos aînés vous considèrent comme des rivaux, et le phénomène s’est aggravé avec le temps car vous avez appris des techniques récentes qu’ils maîtrisent mal. Donc, profil bas. Comment faire alors, car vous êtes légitimement ambitieux ?

 

C’est là que les historiettes de Parkinson font une fois de plus merveille. Il explique comment un habile jeune homme réussit à faire croire à un membre ancien et respecté de la hiérarchie que c’est lui, le vieux, qui a eu les bonnes idées, et il se met humblement à sa disposition pour les mettre en œuvre.

 

(le Jeune) « Merci beaucoup. C’est très aimable à vous de discuter avec moi de la stratégie de la Compagnie. Junior comme je suis, je ne peux en rien contribuer. Mais je suis avide d’apprendre » (p.49) Il n’y rien de plus insupportable qu’un jeune homme qui pense qu’il peut diriger la Compagnie (…) Ayez toujours vos idées mises en avant par quelqu’un d’autre . (p.50)
Ainsi, le vieux prendra soin de l’avancement du jeune, jusqu’à ce que celui-ci, au voisinage des sommets, arrache le masque.

 

Les autres chapitres de ces deux ouvrages contiennent eux aussi des merveilles, mais j’ai choisi ceux qui sont le plus immédiatement éclairants pour de jeunes ingénieurs.

 

 

 

 

 


(1) Par exemple l’ouvrage « Technique économique et gestion industrielle », de Jacques Lesourne, Dunod (1958).
(2) Par exemple « Le prix de l’excellence », de Tom Peters et Robert Waterman, Dunod (1983).
(3) Texte BibNum, document 1, numérotation d’origine pages 4 à 15.
(4) Texte BibNum, document 2, numérotation d’origine pages 63 à 72.
(5) « The point of vanishing interest » : la limite en dessous de laquelle l’intérêt s’évanouit.
(6) Texte BibNum, document 3, numérotation d’origine pages 41 à 51.
(7) D’où, là aussi, le titre du chapitre « Nonorigination » (anglicisme parkinsonien, difficile à traduire…)
A consulter (Livres) :

 

 
 
 Idées, Tome 1, de Claude Riveline, École de Paris du management, Paris, 2006.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 Propos de O.L. Barenton, confiseur, de Auguste Detœuf, Éditions du Tambourinaire, Paris, 1951 (réédition Éditions de l’organisation, 2004).