Méthodes nouvelles pour diagnostiquer l’idiotie, l’imbécillité et la débilité mentale

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Méthodes nouvelles pour diagnostiquer l’idiotie, l’imbécillité et la débilité mentale
Auteurs : Alfred Binet (1857-1911) psychologue français, Théodore Simon (1873-1961) psychologue français
Auteur de l'analyse : Alexandre Klein Philosophe et historien des sciences Université Laval (Québec)
Publication :

Actes du Ve congrès international de psychologie, tenu à Rome du 26 au 30 avril 1905, p. 507-509 (communication des auteurs présentée par le Dr H. Beaunis)

Année de publication :

1906

Nombre de Pages :
3
Résumé :

Aux sources de l’invention de ces deux auteurs, ‘l’Échelle métrique de l’intelligence’, liée notamment aux débuts de la scolarité pour tous. Échelle qui sera assez vite utilisée outre-Atlantique (et déformée) via les ‘tests de quotient intellectuel (QI)’.

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
décembre 2016

Alfred Binet (1857-1911) est un savant aussi célèbre que méconnu. Si son nom est resté inscrit dans l’histoire, avec celui de Théodore Simon (1873-1961), pour la création de la première Échelle métrique de l’intelligence, on en sait souvent peu sur sa vie, sa carrière et son travail. On ignore même souvent tout des conditions de création de son fameux test, précurseur de celui du Quotient Intellectuel, ainsi que des enjeux de ses développements.

[…]

en novembre 1904, le ministre de l’Instruction publique Joseph Chaumié (1849-1919) institue par arrêté une Commission « chargée d’étudier la question des enfants anormaux »

[…]

la méthode psychologique, la plus importante et la plus directe des trois, visait directement l’établissement d’une « échelle métrique de l’intelligence »; échelle qui permettait « non pas à proprement parler la mesure de l’intelligence, mais un classement, une hiérarchie des intelligences diverses »

[…]

Binet et Simon pouvaient ainsi affirmer avoir démontré « qu’il est possible de constater d’une manière précise, vraiment scientifique, le niveau mental d’une intelligence, de comparer ce niveau au niveau normal, et d’en conclure par conséquent de combien d’années un enfant est arriéré »

[…)

très rapidement l’échelle métrique de l’intelligence va connaître un succès international. Découvrant les travaux de Binet et notamment l’échelle métrique, Goddard, bien que d’abord sceptique sur son utilité, s’attacha, dès son retour aux États-Unis, à l’utiliser sur les enfants de son école. Il fut alors surpris de constater la coïncidence des résultats obtenus avec ses propres observations et diagnostics

[…]

Mais si l’échelle métrique inventée par Binet et Simon a connu un tel engouement et un tel développement aux États-Unis, c’est au prix d’un certain nombre de transformations et d’adaptations. En effet, rapidement après son introduction sur le territoire américain, l’échelle va quitter le cadre de l’évaluation des enfants pour devenir un outil généralisé d’évaluation des populations dont les principes vont s’éloigner des ambitions et des exigences de Binet.

 

[ci-dessus extraits de l’article d’Alexandre Klein]

 

 


 

 

 

 

Après un doctorat en philosophie et histoire des sciences soutenu à l’Université de Lorraine en 2012 et portant sur la subjectivité dans la médecine contemporaine, Alexandre Klein a réalisé un postdoctorat à l’Université d’Ottawa (2013-2016), portant sur l’histoire de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec. Il est aujourd’hui postdoctorant au département des sciences historiques de l’Université Laval à Québec, où il codirige un projet sur l’histoire du nursing psychiatrique dans la province de Québec. Il travaille en outre depuis 2008 à l’édition des archives du psychologue Alfred Binet et dirige, depuis 2012, le réseau de recherche Historiens de la santé qu’il a créé.

Alfred Binet et l’Échelle métrique de l’intelligence
Alexandre Klein Philosophe et historien des sciences Université Laval (Québec)

Alfred Binet (1857-1911) est un savant aussi célèbre que méconnu. Si son nom est resté inscrit dans l’histoire, avec celui de Théodore Simon (1873-1961), pour la création de la première Échelle métrique de l’intelligence, on en sait souvent peu sur sa vie, sa carrière et son travail. On ignore même souvent tout des conditions de création de son fameux test, précurseur de celui du Quotient Intellectuel, ainsi que des enjeux de ses développements. Pourtant, depuis sa mort prématurée en 1911, et plus encore au cours des deux dernières décennies, les travaux sur la vie, l’œuvre et les archives de ce psychologue français se sont multipliés, révélant à la fois les conditions exactes de création de cette fameuse Échelle, et surtout, au-delà, une œuvre vaste, plurielle et diversifiée qui joua un rôle majeur dans la fondation de la psychologie scientifique.

 

Figure 1 : Photographie d’Alfred Binet (WikiCommons, source inconnue).

 

C’est pour détailler ces deux facettes d’Alfred Binet – celle d’inventeur de la première échelle métrique d’intelligence et celle d’acteur majeur de l’établissement de la science psychologique –, mais aussi pour dépasser le paradoxe qui en fait à la fois le plus célèbre et peut-être le moins connu des psychologues, que nous nous proposons ici de revenir sur un texte aussi essentiel qu’anecdotique de son œuvre : son intervention au congrès international de psychologie de Rome en avril 1905. C’est en effet à cette occasion qu’il présente, pour la toute première fois, une nouvelle méthode d’étude de l’intelligence humaine dans laquelle figurait sa future échelle métrique, mais c’est également l’un de ses textes les moins importants peut-être, relativement à la création de l’Échelle ou même à son œuvre de psychologue. Il ne se rendit d’ailleurs même pas en personne à Rome pour le présenter. Ainsi, ce court texte de deux pages et demie incarne à lui seul l’essence de la figure binetienne et de sa réception par l’histoire des sciences, et nous permet donc un accès aussi original que singulier à l’œuvre du psychologue.

 

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Pour mener à bien cette étude, nous reviendrons tout d’abord sur la vie et la formation de Binet[1] afin de comprendre comment un avocat a pu en venir à se passionner pour la psychopédagogie. Nous nous attarderons ensuite sur la communication de Rome, en la mettant notamment en perspective avec une série d’articles, complémentaires, publiés par Binet la même année dans L’Année psychologique. Nous pourrons ainsi cerner les conditions d’apparition de ce projet de mesure de l’intelligence, et en préciser le contenu exact avant d’aborder son évolution (l’Échelle connait en effet deux autres versions en 1908 et 1911), ainsi que son devenir après la mort de Binet. Nous serons finalement en mesure de restituer l’Échelle métrique de l’intelligence dans son contexte historique et scientifique, tout en offrant un aperçu de l’œuvre plurielle d’Alfred Binet et sur son rôle dans l’histoire de la psychologie scientifique. 

 

 

Alfred Binet, un savant curieux

Alfred Binet est né le 8 juillet 1857 à Nice, alors encore sous concordat italien, d’une mère artiste peintre (Moïna Allard) et d’un père médecin (Édouard Binet). En 1868, après la séparation de ses parents, il rejoint Paris avec sa mère pour poursuivre sa scolarité qu’il achèvera au Lycée Louis-le-Grand. Il s’engage ensuite dans des études de droit, obtient sa licence en 1878, puis débute son stage obligatoire d’avocat qu’il achèvera six ans plus tard. Le 19 février 1884, il apparaît ainsi pour la première fois au tableau des avocats du Barreau de Paris. Mais le 5 décembre de la même année, il écrit au Bâtonnier pour lui annoncer que des « circonstances indépendantes de [s]a volonté » le forcent « à regret » à « renoncer à [s]a profession d’avocat[2] ». Il faut dire que pendant ses six années de stage obligatoire, Binet a eu l’occasion de découvrir de nouveaux horizons et de développer de nouveaux intérêts. À la Bibliothèque Nationale de France qu’il fréquente assidument dès la fin des années 1870, il se familiarise avec les psychologies anglaise et allemande, alors popularisées par Théodule Ribot (1839-1916), et se passionne pour les travaux d’Hippolyte Taine (1828-1893) et de John Stuart Mill (1806-1873). Au début des années 1880, il rencontre par l’intermédiaire d’un ancien camarade de Louis-le-Grand, un certain Joseph Babinski (1857-1932), le médecin Charles Féré (1852-1907), qui l’introduit à l’hôpital de la Salpêtrière. Il y suit les enseignements du neurologue Jean-Martin Charcot (1825-1893)[3], alors au seuil de la consécration, et se forme à l’hypnose et à la psychopathologie des hystériques. Le 14 août 1884, c’est encore en tant qu’avocat au Barreau de Paris que Binet épouse Laure Balbiani (1857-1922), la fille du professeur d’embryologie au Collège de France Édouard Gérard Balbiani (1825-1899). Ils auront deux filles : Madeleine, née en 1885, et Alice, née en 1887. Pendant ce temps, Binet entame, sous la direction de son beau-père, des études de sciences biologiques qui le conduiront à soutenir, en 1894, une thèse de doctorat sur le système nerveux sous-intestinal des insectes.

 

 

Figure 2 : Le fameux tableau (1887) ‘Une leçon clinique à la Salpêtrière’, tableau d’André Brouillet (1857-1914). La patiente, Blanche Wittman, est soutenue par Joseph Babinski, lors de la leçon de Jean-Martin Charcot. Charles Féré apparaît assi, au milieu du tableau, avec sa longue barbe.

 

 

Mais pendant la décennie 1880, son intérêt se porte avant tout sur la psychopathologie. Binet étudie les hystériques de la Salpêtrière – dont la célèbre Blanche Wittmann (1859-1913) –, travaille sur la suggestion et les hallucinations et perfectionne la technique du transfert par aimant. En 1886, il publie un premier recueil de ses travaux intitulé La psychologie du raisonnement, puis l’année suivante un deuxième, en collaboration avec son ami Charles Féré, intitulé Le magnétisme animal et qu’il dédie à Charcot. En 1888, il fait finalement paraître ses Études de psychologie expérimentale où il reprend ses travaux tant biologiques que psychopathologiques, notamment son célèbre essai sur le fétichisme dans l’amour[4] publié l’année précédente dans la Revue Philosophique de la France et de l’Étranger dirigée par Ribot. En 1890, il présente ses premiers travaux sur la perception et l’intelligence des enfants, signe de son progressif détachement des problématiques purement psychopathologiques de la Salpêtrière. Mais il faut attendre 1891 pour que la carrière et la vie de Binet prennent un tournant décisif. C’est cette année-là qu’il croise, sur le quai de la gare de Rouen, le physiologiste Henry-Étienne Beaunis (1830-1921), éminent membre de l’École de Nancy qui s’opposait alors, autour de la question de l’hypnose et de la suggestion, à l’École de la Salpêtrière[5]. Celui-ci lui propose de rejoindre, à titre bénévole, son nouveau Laboratoire de psychologie physiologique ouvert à la Sorbonne en 1889 et rattaché à l’École Pratique des Hautes Études. Binet saisit sans hésiter cette nouvelle opportunité.

 

 

Tout en poursuivant sa collaboration avec Charcot, notamment autour de la question des calculateurs prodiges, ainsi que son travail de thèse sur la physiologie des insectes, Binet passe, au début de la décennie 1890, de plus en plus de temps au Laboratoire de la Sorbonne, au point de rapidement s’y imposer comme un élément essentiel. De simple préparateur bénévole, il est ainsi nommé dès 1892 directeur adjoint de ce laboratoire où il poursuit ses recherches sur les calculateurs prodiges Jacques Inaudi (1867-1950) et Diamanti, tout en engageant, avec Beaunis, mais aussi Jean Philippe (1862-1931), chef des travaux, ou Jules Courtier (1860-1938), chef adjoint, de nouvelles investigations sur l’audition colorée, la création artistique, la mémoire ou les temps de réaction. En juin 1894, il publie le résultat de ses recherches sur les joueurs d’échecs et les calculateurs prodiges qu’il dédie non pas à Charcot, pourtant mort l’année précédente, mais à Beaunis. Il faut dire que ce dernier est en passe de prendre sa retraite. Le 1er janvier 1895, Binet est ainsi officiellement nommé, à sa place, à la direction de ce laboratoire installé dans un petit appartement situé tout en haut de l’immeuble faisant l’angle entre la rue Saint-Jacques et la rue des Écoles. Il avait soutenu quelques mois plus tôt son doctorat de sciences naturelles et c’était déjà sans Beaunis, mais avec la majorité les membres du laboratoire – Courtier, Philippe et un élève nommé Victor Henri (1872-1940) – qu’il publiait en avril 1894 une Introduction à la psychologie expérimentale présentant les travaux menés dans ces locaux. Mais succession ne veut pas pour autant dire remplacement. On retrouve ainsi Beaunis à la direction, avec Binet, du premier volume de L’Année psychologique paru en 1895, journal dont Binet a eu l’idée l’année précédente pour remplacer le trop onéreux et pas assez ambitieux Bulletin du laboratoire – et qui se présente alors comme la première revue internationale entièrement consacrée à la psychologie expérimentale[9]. À la tête de son laboratoire et de sa propre revue, Binet a les mains libres, et ce bien que les financements lui manquent et que l’impossibilité pour son laboratoire de décerner des diplômes réduise drastiquement le nombre de ses élèves. Il peut alors explorer pleinement cette psychologie expérimentale normale qu’il entend pratiquer et faire reconnaitre comme science à part entière et dont il établit dès 1896 le programme sous le titre de « psychologie individuelle[10] ». Il multiplie donc les recherches et les objets d’étude pour tenter de comprendre et de décrire le fonctionnement des facultés supérieures de l’esprit humain que sont l’intelligence, la mémoire ou l’imagination. En 1898, il inaugure une « Bibliothèque de pédagogie et de psychologie » chez l’éditeur Schleicher en publiant avec Victor Henri un ouvrage sur la fatigue intellectuelle dans lequel il explore de nouveaux moyens d’approche de la vie psychique.